C'est l'histoire d'une organisation secrète internationale, le CFR (Consortium de Falsification du réel) qui falsifie la réalité mais dont personne ne connaît les motivations. C'est l'histoire de quelques une des plus grandes supercheries de notre époque : de Laïka, la première chienne dans l'espace, qui n'a jamais existé, de Christophe Colomb qui n'a pas découvert l'Amérique, des fausses archives de la Stasi. C'est l'histoire d'un jeune homme, embauché par le CFR, qui veut comprendre pourquoi et pour qui il travaille. C'est l'histoire d'une bande d'amis qui veulent réussir leur vie, sans trop savoir ce que cela veut dire. C'est, d'une certaine façon, l'histoire de notre siècle.
Review
Parfois, on lit des bouquins sans vraiment savoir pourquoi, mais tout en étant convaincu d'y trouver une espèce de vérité, alors même que le roman est par construction un mensonge.
Et cette histoire en est le plus parfait exemple.
Elle nous raconte comme Sliv, jeune islandais à la recherche de son premier emploi, va refuser une offre dans une conserverie pour entrer via l'une de ses facades dans le consortium de falsification du réel, une société secrète dont le but est encore inconnu à cette heure, mais dont le moyen d'action préféré est la manipulation du réel. Une manipulation qui passe par la création de faux documents officiels, de faux témoins, de faux écrits, bref, de faux divers. Et ils ne font pas ça pour le plaisir. On va y trouver Laïka (la chienne de l'espace), l'exploitation pétrolière, les débuts de la dérive capitalistique dans laquelle nous sommes actuellement plongés, mais aussi des faux films, de faux courants artistiques (ah, cet écrivain minimaliste). Bref, ce roman raconte comment le réel est faussé. Et comment il est faussé par Sliv et ses patrons.
Alors évidement, ça ne peut que plaire à tous les démiurges en culottes courtes : les MJ de toutes les parties de jeux de rôles s'y retrouvent, comme d'ailleurs les joueurs de #nomic (oui, là, je suis bi-classé). Et c'est avec une excitation permanente que je voyais Sliv tenter des falsifications aussi audacieuses que tordues (son oeuvre sur la Stasi est incroyablement subtile). Qui plus est, l'auteur a pris soin sur chacun des sujets évoqués de se documenter avec une précision, une force, une profondeur assez incroyable. Il arrive donc à évoquer dans le même roman les dérives capitalistes et des continents, la zoologie et la condition des femmes, ou encore la conquête spatiale et le communisme. C'est donc un grand jeu intellectuel dans ce roman que de chercher ce qui est "vrai" et ce qui est "faux". Bon, on sait bien, vous et moi, que c'est un jeu de dupes : le réel n'existe pas, pas plus que la vérité. C'est d'ailleurs ce qui rend ces manipulations aussi innocentes que superfétatoires : ce qui a été vrai hier sera faux demain, et il n'est pas besoin d'une société secrète pour en arriver à cette réalité fluctuante. Toutefois, évidement, le CFR (nos falsificateurs, quoi), ajoute à cette réalité fluctuante une dose d'art qui lui fait habituellement défaut, et qui me poussera désormais à traquer le faux artistique dans les journaux ou dans la wikipedia - qui doit être pour l'auteur un objet fascinant.
Cependant, ce roman n'est pas exclu de défauts, au premier range desquels la platitude des personnages, qui s'esquivent systématiquement dès qu'un tant soi peu de relations humaines s'instaurent ... Bon, je suis mauvais jouer, c'est évidement le cas presque uniquement pour les deux personnages principaux, mais les "seconds rôles", eux, ont droit au bonheur et à une vie affective épanouie. En revnache, les héros, non, et ce stéréotype du "lonesone cowboy" comme personnage principal me paraît à la fois douteux et peu intéressant sur le plan littéraire.
Mais je ne crois pas qu'il s'agisse d'un défaut bien grave. Après tout, le but de ce roman n'est pas d'être une autobiographie imaginaire d'un falsificateur fictif (quoique .... peut-être que l'auteur a juste utilisé un nom de plume et qu'il est Sliv), mais bien de nous montrer que notre monde n'est pas basé sur une réalité objective, mais sur un ensemble de scénarios construits dans des buts différents. Et si ça nous semble si évident, c'est peut-être grâce ou à cause de l'émergence du story-telling ubiquitaire : cette façon qu'ont les sphères média et politiques de scénariser chaque élément d'information pour construire une information émotionelle vide de sens mais pleine de sentiments (à vomir !). Evident, donc, mais pas inutile pour autant. Je vois dans ce roman une espèce de façon de démysthifier ce réel construit autour de nous, et de le démysthifier avec beaucoup de subtilité. En effet, dans ce roman, le héros va comprendre au bout d'un moment qu'il n'est pas uniquement extérieur aux scénarios qu'il construit (le galochat, ou les bochimans) mais également personnage de ces scénarios, aussi bien lors de son premier entretien avec Khoyoulfaz ou de sa visite en Afrique (je ne détaille pas plus pour ne pas déflorer l'intrigue). Et je pense que l'auteur, en impliquant le personnage principal, a voulu nous montrer comment nous aussi ne pouvons rester extérieurs à cette construction du réel, tout en ayant un devoir de critique vis-à-vis de cette réalité construite.
Du coup, évidement, même si je n'ai pas été totallement conquis par ce roman (malgré son côté page-turner), je ne peux que vous le recommander, ne serait-ce que pour comprendre que la réalité, même si ça n'est pas ça, c'ets pourtant ça.