Rush Island, 2037. La loi Bradbury interdit toutes les images depuis vingt ans sur l'ensemble du territoire. La propagande matraque : " Les photographies sont nocives. Le cinéma rend fou. La télévision est l'opium du peuple. " Les agents de la Brigade de l'ail, les yeux armés du gouvernement, traquent les terroristes opposés à cette dictature. Brûlent les images encore en circulation et les pupilles de ceux qui en possèdent. Parce qu'un bon citoyen est un citoyen aveugle. Roman coup de poing, hommage, entre autres, à Fahrenheit 451 de Ray Bradbury et au meilleur du cinéma américain, La Brigade de l'OEil est la première incursion de Guillaume Guéraud dans la science-fiction.

Review

Ce roman nous raconte les destins croisés de Falk et de Kao, deux personnages opposés dans une dictature ayant banni les images : le premier est un policier chargé de veiller à ce que la censure reste totale, punissant les contrevenants d'une simple énucléation, et le second est (logiquement) un trafiquant d'images de toutes sortes : films, porno, gore, ... tout passe entre ses mains. Bien sûr, ils vont se tourner autour, et leur confrontation finale sera plutôt destructrice.

J'ai bien des choses à dire sur ce roman, pour leur immense majorité négatives alors je vais commencer tout de suite.

Il y a dans la thématique même de ce roman une faille conceptuelle, comme on dirait dans mon boulot. En effet, dans ce roman, ce qui remplace les images, ce sont les lectures : romans, essais, magazines, tout est bon pour occuper le temps de cerveau disponible. Seulement voilà, comment décrire dans un roman une dictature de l'écrit sur l'image autrement qu'en l'approuvant ? Ce que je veux signifier par là, c'est que prétendre sauver la magie des images, remplacée par le livre, dans un livre (à une époque où celui-ci est remplacé par d'autres médias écrits) me paraît une entreprise pour le moins délicate. Surtout quand l'auteur nous écrit le choc de certaines images que le lecteur peut ne pas avoir vu (je pense par exemple à Nuit et Brouillard, qui ne fait pas partie de ma culture cinématographique). Là, ça confine à l'exploit littéraire.

Or hélas, la littérature ne sort pas grandie de cet inutile morceau de bravoure. Parce que "la brigade de l'oeil" est un roman sur lequel on sent bien que l'auteur a passé du temps. Du temps dépensé à mon avis en vain pour truffer son écriture de maniérismes aussi inutiles que voyants. Il en va ainsi de ses énumérations dans lesquels le "et" remplace la virgule pour mieux faire perdre son souffle au lecteur. Il en va aussi, et surtout de son découpage de paragraphes : systématiquement, chaque phrase occupe un paragraphe complet. Ou plutôt, chaque paragraphe est constitué d'une seule phrase. Je comprend bien que le but du jeu est de provoquer un effet de flash, mettant plus en valeur chacune de ses phrases. Et peut-être (mais là, je suis généreux) y a-t-il la volonté de faire subir au texte ce que la pellicule fait subir à l'image : des découpages en tranches trop infimes pour être visibles, mais suffisants pour être sensibles. Seulement voilà, l'oeil et le rythme d'une lecture ne sont pas comparables avec ceux du cinéma et cette tentative me semble plus pathétique qu'autre chose.

Enfin, le dernier point gênant est pour moi typique de la Littérature Française (oui, ces deux majuscules sont ironiques). Rappelons la scène : on est en 2009, la science-fiction a exploré depuis Ray Bradbury et [Farenheit 451:] à peu près tout ce qu'il est possible d'imaginer en termes de dystopies, de tyrannies et autres systèmes politiques insupportables. Pourtant, Guillaume Guéraud calque son récit sur celui de Ray Bradbury. Et encore, j'ai l'impression d'un net retour en arrière, puisque Ray Bradbury, chassant les lvires, devait les remplacer par des mécanismes de diffusion d'images plus sophistiqués (comme par exemple les murs animés). Guillaume Guéraud, lui, nous replonge dans un univers d'anticipation digne des premiers épisodes de Twilight Zone : un univers absolument normal, n'eut été l'absence totale d'images et l'ambiance années 50 qui se dégage de son histoire.

Alors c'est quoi, finallement, le but ? Est-ce que c'est, comme pour d'autres auteurs, celui de pouvoir dire "moi aussi, j'ai écrit de la SF" en escroquant le lecteur avec une intrigue téléphonée et datée, un postulat indémontrable par construction, et des tournures de phrases plus pénibles qu'autre chose ? Est-ce que c'est vraiment la volonté de faire de la SF (auquel cas il va falloir que ce monsieur se plonge d'abord dans quelques lectures) ? J'en sais rien. Et en fait, tout ça me dégoûte un peu. Et me donne aussi envie de vous dire de ne surtout pas lire ce livre.