13 mai 2008

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Dans une humanité déracinée, peuplant le système solaire de gigantesques stations orbitales, écartelée entre les tenants de l'évolution par la technologie et ceux de la manipulation génétique, Abélard Lindsay, jeune diplomate issu de la République corporative circumlunaire de Mare Serenitatis, tente de trouver son chemin.
Fils d'aristocrate, il doit apprendre à survivre, à choisir son camp. Mais au moment où l'homme évolue, cesse d'exister en tant que tel pour se scinder en espèces nouvelles, il croit enfin comprendre son destin : réconcilier Mécas et Morphos autour d'un projet grandiose, la terra-formation des mondes...

Review

J'avais lu ce livre il y a déja quelques années, et en avait étéé positivement émerveillé. Car après la déferlante du cyberpunk, 5085738 nous revenait avec une oeuvre aux dimensions épiques, embrasssant dans sa fresque futuriste de très nombreuses visions de l'humanité et une rencontre avec les extra-terrestres.

J'ai cette fois-ci été un peu plus touché par le côté humain du personnage principal (auquel on ne peut décement pas donner le titre de héros, puisqu'il passe l'essentiel du roman à fuir : sa femme, ses anciens amis, ses responsabilités, l'humanité). Toutefois, à cause d'une éducation étrangement écartelée, sa fuite n'est pas réellement éperdue, mais massquée la plupart du temps derrière des motifzs nobles. Et ce sont ces motifs qui vont nous permettre de visiter les endroits les plus interlopes que cette humanité spatiale a conquis : des stations spatiales quasiment abandonnées, des centres diplomatiques et commerciaux de contact avec les extra-terrestres, et enfin le centre de terraformation de Mars.

Et à chaque fois, comme lors de la première lecture, j'ai été ébahi devant le sens de la mise en scène dont sait faire preuve l'auteur pour nous rendre des décors tour à tour inquiétants, merveilleux, totallement invivables, ou tout simplement dangereux.

Un autre point intéressant dans ce roman, c'est la philosophie évoquée par ce personnage. Car même si les objectifs qu'il défend évoluent (mais quels objectifs n'évolueraient pas au cours dde périodes de vies de plusieurs siècles - en passant, c'est un point commun avec link:9782070313044.html[Les menhirs de glace], qui montre néanmoins plus en détail les limites de la mémoire - qui sont néanmoins évoqués ici avec ce que j'appelerais de la finesse, à défaut d'un terme plus approprié), il garde tout au long de sa vie une confiance claire en les capacités d'une bonne négociation à éviter tous les conflits, confiance qui sera régulièrement trahie par d'autres humains qui ont moins foi que lui en les capacités de la diplomatie. Peut-être que, dans ce cas, l'un des postulats de 5085738 a été de donner corps à la phrase célèbre qui dit que la guerre est la continuation de la diplomatie par d'autres moyens, mais j'en doute.

Je parlais du côté humain du livre en préambule, mais je m'aperçois que je ne parle que du personnage principal. Or tous sont traités avec la même finesse, qui leur permet d'exisster avec une réelle force. C'est ainsi le cas des différents personnages secondaires, mais aussi de l'humanité dans son ensemble, qui garde dans l'espace toutes ses bassesses, comme les luttes d'influence, mais aussi toutes ses grandeurs, comme la capacité à créer et à imaginer toujours un monde meilleur.

Tout ça fait de ce rtoman une oeuvre incroyablement clairvoyante, je trouve, même si elle présente certains défaults, comme par exemple un certain manque d'unité.

Peut-être que ce manque d'unité est dû à nos limites d'humains actuels, incapables d'embrasser des espérances de vies se comptant en siècles, mais je crois plutôt que c'est la variété des lieux dans lesquels l'auteur promène son personnage principal qui m'a donné cette impression.

Notez bien qu'il s'agit d'un défaut minime, rendu encore plus mineur d'ailleurs par les nouvelles suivant le roman, qui ouvrent de nouveaux aperçus sur l'univers autour du héros, même s'il s'agit plutôt de l'univers à la fin du roman, avec une planète Mars quasiment colonisée.

Enfin, dans tous les cas j'ai beaucoup aimé cette oeuvre qui, en mon sens, apporte beaucoup de fraîcheur au space-opera en en étant un, par le décor, sans en être un, par le manque d'action, rempalcé ici par une vue beaucoup plus contemplative de ce décor, au demeurant magnifique.

Ci-dessous, une discussion de fr.rec.arts.sf ayant eu lieu lors de ma première lecture



Trick a écrit d'une plume inspirée
> En bref : c'est zarb mais en définitive ça vaut vraiment la peine.
>

Ah, damned, je suis eu ! Je l'ai également lu la semainde dernière (dans son édition Folio Sf augmentée de quelques nouvelles tout à fait fabuleuses et par conséquent habilement nommé "Schismatrice +") et j'avais également l'intention d'en poster mon avis. Et malheureusement, je fus précédé, et de peu, pour mon malheur. Bref, à mon tour d'en rajouter dans le spoiler honteux, la réflexion pitoyable et l'humour de bas étage...


> Lindsay le déchu, le rénégat, l'apache du soleil. Tout semblait lui
> sourire, jeune, riche, fraîchement rompu aux techniques
> révolutionnaires des diplomates formationnistes, il représentait un
> immense espoir pour son habitat, la République Circumlunaire de Mare
> Serenitatis. Mais son apprentissage l'a radicalement transformé, lui
> et son meilleur ami, son presque frère Philippe Constantin. Tout
> bascule lors du suicide de leur égérie, Vera Kelland, signe de révolte
> contre les chefs mécanicistes tenant les rênes du pouvoir depuis des
> dizaines d'années, des vieillards dont les vies interminables ne
> tiennent qu'à une assistance médicale permanente.


On retrouve là quelque chose de très connu : la révolte des nouveaux contre les anciens, lorsque ceux-ci se révèlent sclérosés et incapables d'agir d'une manière ambitieuse (ce qui peut également sembler un miroir assez intéressant de la société actuelle).

>
> Abélard Lindsay aurait du disparaître avec sa belle mais le hasard
> l'épargne. Devenu trop dangeureux pour son clan, il est banni vers un
> habitat désolé où commencera une vie nouvelle en compagnie des
> marginaux de la Schismatrice, ce vaste ensemble de mondes
> indépendants, rivaux et bouillonnants, cette machine à fragmenter
> l'humanité.
>
Je ne suis pas tout à fait d'accord avec ton interprétation : "le hasard l'épargne". Ne s'agit-il pas plutôt pour lui de survivre, quel qu'en soit le déshonneur ? Pour le jeune révolutionnaire qu'il est alors, la mort est la seule transgression possible, dans un univers asseptisé où tout est contrôlé par les familles régnantes. Et cette transgression, qu'il choisit selon moi de ne pas effectuer, le pourcharssera toute sa vie, que ce soit sous al forme des assassins envoyés par Constantin, mais surtout par sa propre image : il sait qu'il aurait dû mourir avec Véra, mais que le fait de ne pas l'avoir fait lui permet de plonger dans la vie de la Schismatrice.
>
> Ce n'est pas un roman facile d'accès. D'abord à cause d'un style de la
> même veine que celui de Gibson, c'est-à-dire fourmillant de
> néologismes et très fracturé. Sterling élude des passages entiers si
> bien qu'on a parfois l'impression de disposer d'une édition incomplète
> ou tronquée du bouquin. Le sujet n'est pas non plus très clair et les
> vingts premières pages suggèrent plus une sorte de space-opera
> carabiné à la Vance, avec des héros insurpassables et indestructibles,
> que la fresque sociale et technique qu'est véritablement _La
> Schismatrice_.
Si le style de ce roman est effectivement très élusif, c'est par nécessité selon moi : lorsqu'on est plongé dans une humanité dispersée dans tout le système solaire, et que les voyages durent des mois entiers, il n'est peut-être pas nécessaire de les mentionner. Mais ce n'est qu'un des nombreux points éludés. En fait, il me semble que le bon angle de lecture est de voir Abéliard Lindsay comme un catalyseur : lorsqu'il crée sa compagnie de théatre dans l'habitat des apaches, son habitat originel est déserté. Lorsque les Investisseurs arrivent, il est propuslé sur le devant de la scène et rejoint ainsi Wells, avec lequel ils vont lancer le projet de terraformation du satellite de Jupiter (dont évidement j'ai oublié le nom).
>
> Car au-delà des aventures rocambolesques du sieur Lindsay, on découvre
> une société ou plutôt une myriade de sociétés nées des conditions
> extrèmement hostiles et changeantes de la vie en plein espace. Des
> sociétés divisées par les luttes incessantes entre mécanistes et
> formationnistes, ces derniers étant adeptes de manipulations
> génétiques dans un optique clairement eugéniste, et de techniques de
> conditionnement. Ce petit monde dynamique et en perpétuelle mutation
> n'est pas sans rappeler celui de _Dune_ par sa complexité, ses
> intrigues et sa façon d'être constamment sur le point de se briser.

Là, je ne suis franchement pas d'accord. Là où Dune est un essai politique franchement inspiré par le Prince de Machiavel, la Schismatrice se rapproche plus pour moi d'un traité d'évolution des sociétés, ou plutôt des clades. La notion de niveau de complexité de Prigogine (dont j'ignore évidement si c'est une fumisterie ou une idée avérée) par exemple, représente bien le champ d'intérêt de Sterling : il s'agit plus d'expérimenter sur les micro-sociétés qui peuvent émerger plus facilement dans l'espace que de fouiller en profondeur les structures du pouvoir. Enfin, j'ai pour ma part un reproche conceptuel à faire : les deux opposants, morphos et mécas, ne représentent pour moi que les deux faces d'une même pièce. Ils ont tous voué leur vie au progrès scientifique, quitte à se laisser dévorer par ce progrès, et à ne plus avoir d'humain que le nom (comme par exemple les Homards). Cependant, on ne voit nulle part de conservateurs ou, comme j'aurais tendance à les appeler, de néo-obscurantistes, déclarant que toute cette technologie est sale, que l'âme des morphos n'existe pas et que celles des mécas est indubitablement corrompue par ce mélange avec la machine maudite. Bien sûr, les terriens sont ainsi, plongés dans la stase, mais il aurait été amusant de voir, dans l'espace, des partisants d'un retour à des technologies externes.
>
> Si vous arrivez à vous faire au style un peu étrange de Sterling, et à
> passer outre certains aspects kitschs ou réducteurs de cet immense
> tableau, voici un roman surprenant de vitalité et d'originalité.

Tout à fait. je rajouterai également qu'il donne un aperçu moderne de la vie telle qu'elle pourrait apparaître pour un individu capable de vivre plus de trois cent ans, dépassé par un progrès qui va en s'accélérant, et cherchant de nouvelles sources d'émerveillement.
Ah, oui, au fait, ne loupez pas non plus les nouvelles incluses dans "la Schismatrice +", elles fournissent un éclairage plus percutant - à la manière d'un court-métrage flashant l'individu - sur la complexité de la schismatrice, cette humanité de nom.