Au bout de dix heures de combat, quand j’ai vu la flotte du Chah flamber d’un bout à l’autre de l’horizon, je me suis dit : « Benvenuto, mon fagot, t’as encore tiré tes os d’un rude merdier. » Sous le commandement de mon patron, le podestat Leonide Ducatore, les galères de la République de Ciudalia venaient d’écraser les escadres du Sublime Souverain de Ressine. La victoire était arrachée, et je croyais que le gros de la tourmente était passé. Je me gourais sévère. Gagner une guerre, c’est bien joli, mais quand il faut partager le butin entre les vainqueurs, et quand ces triomphateurs sont des nobles pourris d’orgueil et d’ambition, le coup de grâce infligé à l’ennemi n’est qu’un amuse-gueule. C’est la curée qui commence. On en vient à regretter les bonnes vieilles batailles rangées et les tueries codifiées selon l’art militaire. Désormais, pour rafler le pactole, c’est au sein de la famille qu’on sort les couteaux. Et il se trouve que les couteaux, justement, c’est plutôt mon rayon…

Review

Il était épais, ce bouquin !
Il mettait en oeuvre Benvenuto Gesufal, un personnage dont on pourrait dire qu'il était la main gauche de l'illustre Leonide Ducatore, podestat de son état. Autrement dit, l'assassin en chef du doge de la république de Ciudalia, qui s'inspire clairement de la Venise du quattrocento (à peu près, hein).
Cet assassin en chef nous raconte donc dans ce roman les mémoires des moments les plus fameux de sa vie, entre la fin de la guerre contre le chah de Ressine (un pays mauresque, sans aucun doute, amis tout aussi indéfini que notre Ciudala) et la victoire du podestat sur ses nombreux ennemis tant intérieurs qu'extérieurs.
Ce roman est assez contrasté, de mon point de vue, alors sans doute que cet avis vous apparaîtra assez décousu.
Pour commencer, l'auteur utilise donc le personnage bien connu de l'assassin, personnage ignoble s'il en est, au service d'un aristocrate faisant son possible pour apparaître de la plus divine noblesse. Evidement, le contraste entre la saleté visuelle du premier (surtout dans notre cas, puisque le bougre se fait salement amocher dès le début du récit) et la propreté et le maniérisme du second est censé nous apporter un contrepoint propre à nous élever l'âme. Autant le dire tout de suite, le procédé ne marche que moyennement : on comprend en effet très rapidement que l'honorable podestat ne vaut pas vraiment mieux que son assassin. Et du coup, on se retrouve plongé dans des intrigues qui ont tout de celles qu'on résoud le couteau à la main, en éventrant quasiment le premier venu, ce qu'évidement notre héros fait avec pas mal de talent. Ca n'est pas vraiment désagréaable, mais hélas, ça ne suffit pas forcément à remplir presque mille pages.
Et pourtant, l'auteur s'y essaye grâce à deux procédés particulièrement connus.
D'abord, le récit nous est raconté à la première personne par ce soudard, qui ne se prive pas de nous donner tous ses états d'âme, voire même parfois de nous lancer sur quelques fausses pistes (c'est pas forcément crédible, mais ça occupe le terrain).
Et puis bien sûr, l'auteur occupe le terrain avec des descriptions fort détaillées de l'ensemble des éléments du récit : de Ciudalia dont on comprend rapidement la géographie à Bourg-Preux - petite bourgade perdue dans les montagnes et dont le principal intérêt est d'être sur une faille magique - chaque lieu nous est détaillée avec un niveau de détail impressionant, qui (comme un auteur du XIXème siècle) remplit bien des pages, mais sans forcément donner plus d'âme au récit. En fait, pour le dire franchement, ça fait pavé.
Ca fait pavé au début, quand le héros visite les geôles.
Ca fait pavé au milieu, quand il revient de sa prison et occupe une place de plus en plus grande dans l'entourage du podestat.
Ca fait pavé même ensuite.
Pour être tout à fait honnête, je pense que l'auteur aurait pu faire un récit haletant d'à peine 400 pages en enlevant tout le fatras de décoration baroque qu'il a ajouté dans son bouquin. En l'état, hélas, c'est indigeste (de mon point de vue).