David Selig. Quarante ans, marginal, célibataire. juif, New-Yorkais. Sans ressources bien définies. Ex-étudiant en lettres, ex-courtier en valeurs mobilières. Raté sur toute la ligne.
Et télépathe.
Capable de lire dans l'esprit des autres, hommes ou femmes.
Donc différent.
Dans cet étonnant roman psychologique que seule la science-fiction permettait d'écrire, Robert Silverberg rivalise d'ironie, de subtilité et d'érotisme avec Philip Roth ou Woody Allen.

Review

Mon avis


En général, je n’apprécie pas trop les romans traitant de pauvres merdes, mais ici, le style est franchement sympathique, et l’histoire intéressante. On se met vraiment bien dans la peau de David Selig, et on ne quitte plus ses basques. Et franchement, sa vie de télépathe, elle craint. Si. On y découvre un homme frustré par son don, incapable de l’utiliser (à bon ou même à mauvais escient) et incapable de mener une vie normale, obsédé qu’il est par ce ver lové autour de son cerveau. Et pourtant, les possibilités existent, comme le démontre Nyquist qui est, lui, un vrai télépathe utilisant son pouvoir comme ses autres sens, et n’ayant aucun remords, puisque ça lui est naturel (Nyquist qui m’a d’ailleurs démontré que, encore une fois, link:../authors/2687.html[Simmons Dan Simmons] était franchement peu innovant, en l’occurence dans link:9782070316434.html[l’échiquier du mal La Musique du sang]). La partie la plus intéressante de ce roman est tout de même la chute où, en trois pages, link:../authors/4338.html[Robert Silverberg] transforme ce roman déja intéressant en chef-d’oeuvre par le biais d’une construction élégante et tout à fait bien conçue. Donc, lisez-le, vite ! Parce que c’est très bien fait, très agréable et très bien tout court.

L’avis de link:../authors/419041.html[Pierre-Paul Durastanti]


Pour ceux qui ne le connaissent pas encore, Pierre-Paul figure sur ce site à côté de bien des auteurs (traducteur/réviseur, par exemple, des link:9782841723850.html[Seigneurs de l’instrumentalité Seigneurs de l'Olympe]), et il a eu la gentillesse de compléter mon avis.

Je trouve que l’Oreille interne est un livre à la fois transparent et obscur. En fait, on peut le lire comme un ensemble de métaphores.

Effet de miroir. Quand Silverberg écrit le livre, il approche de la quarantaine, tout comme son personnage (qui lui ressemble beaucoup: il est juif, new-yorkais, il a le même âge, il pratique une occupation liée à l’écriture, et dans "Silverberg" il y a "Selig"). Ce don de télépathie qui décline pourrait-il symboliser (déplorer) le passage à l’âge mûr et son cortège de petits deuils? (La jeunesse, l’innocence, l’insouciance, l’apogée de la puissance sexuelle, etc.) Et lorsqu’il accepte sa situation, lorsqu’il fait le deuil de son talent, Selig a mûri: il trouve enfin l’équilibre.

En un miroir obscur. Revenons à la dichotomie personnage/auteur. Dans quelle mesure ce livre pourrait-il traduire le statut (ou l’absence de statut, ou la perception d’une absence de statut) d’un Silverberg dans la SF américaine ou dans la littérature américaine en général? Peut-on voir chez Selig, un homme qui produit, fabrique des "oeuvres" sans aucune imagination pour le compte et à la place d’autres personnes (qui sont ses inférieurs, du point de vue intellectuel), une image du Silverberg qui, durant sa première décennie d’activité, produisait, fabriquait des oeuvres calibrées pour un marché précis alors qu’il était capable de faire bien mieux? S’agirait-il alors d’un exorcisme? Selig symboliserait-il ce dont Silverberg a enfin réussi à s’extraire, son statut d’écrivaillon, pour donner des ouvrages ambitieux… comme justement link:9782253047353.html[l’Oreille interne L'Oreille interne] ?

Reflet dans le miroir. Lorsque j’ai entendu parler, quelques années après avoir lu ce bouquin, du film de Woody Allen, Zelig (je ne l’ai jamais vu,zut), qui montre une sorte de personnage passe-partout, je me suis demandési les deux noms, "Selig" et "Zelig", étaient liés. S’ils signifiaient quelque chose de précis. Hélas, je ne parle aucun langage hébraïque. Mais maintenant que je dispose de l’internet, je viens de faire une recherche surGoogle. Et, oui, les deux noms ont la même origine, et ils signifient "béni,chanceux". Bonjour l’ironie… Incidemment, le personnage de Zelig est, je cite la description de l’excellent site Rotten Tomatoes, un "caméléon humain doté de la capacité de prendre les caractéristiques de quiconque setrouve en sa compagnie". A se demander si Allen n’a pas lu Silverberg...

Bref, quelques pistes. Ceci dit, tous les commentaires du monde ne changeront rien à l’effet plus ou moins instinctif d’un livre sur son lecteur. Non? C’est même ce qui fait tout l’intérêt de l’art, voire son essence: nul ne voit (n’entend, ne goûte)la même chose. On est le résultat de ses expériences, et ce résultat ne s’accorde pas forcément avec l’univers d’un autre. Or, tout livre est un univers mental. Celui-ci, par son sujet, peut-être plus que d’autres.