Sur Majipoor — trois continents immenses, des océans démesurés — , un jeune homme s'éveille. Il ne se souvient que de son nom : Valentin.
Au même instant, des fêtes se préparent : on attend le maître de la planète, le Coronal. Mais est-il bien celui qu'il paraît être ? Tandis que Valentin découvre auprès d'une troupe de jongleurs son aptitude à leur art, il est hanté par d'étranges rêves : il serait le vrai Coronal et l'on aurait transféré son esprit dans un autre corps...
Carabella, une jolie saltimbanque, l'encourage à revendiquer son identité. Mais pour parvenir jusqu'au Coronal, Valentin devra traverser des continents, des océans. La troupe de jongleurs dont il fait désormais partie se rallie à lui... Tous haïssent le Coronal. Vont-ils pour autant aider Valentin ?
Review
Pour ceux qui ne connaissent pas, il s’agit du premier tome des chroniques de Majipoor de link:../authors/4338.html[Robert Silverberg], qui raconte l’histoire de Valentin, jeune amnésique sur les routes de Majippor, promis à un brillant avenir, mais je n’en dirais pas plus.
Pour ceux qui ont l’intention de l’acheter au livre de poche, évitez la quatrième de couverture, elle spoilerise presqu’autant que moi à partir de maintenant. Donc Valentin est un pauvre amnésique, qui découvre pendant une bonne partie le monde qui l’entoure, avant d’y imprimer sa marque. Et comme à la première lecture, j’ai beaucoup savouré ce roman, quoique pas du tout pour les mêmes raisons.
C’est en effet un des premiers romans de sf que j’ai lu dans ma bibliothèque, qui m’avait laissé une impression d’émerveillement assez total, me laissant pantois devant les prouesses artistiques du jeune jongleur, devant sa facilité aux rapports humains et son caractère relativement super-héroïque. Ce côté-là ne me fascine plus du tout. Pour tout dire, il m’a même un peu ennuyé : Valentin réussit tout, de l’apprentissage de la jonglerie, qui est toujours un art extrêmement délicat, basé sur un complexe équilibre entre la force et la précision, à la prise du mont du chateau, énorme éminence rocheuse qui perce l’athmosphère, telle un doigt tendu vers les dieux du fin fond du cosmos.
En fait, cette fois-ci, j’ai été très sensible à la préface de link:../authors/143603.html[Gérard Klein] (excellente comme toujours) et je me suis plus attaché aux aspects du pouvoir et de son équilibre, ainsi que de la constante confusion qu’entretient l’auteur sur le monde : est-il magique, ou technologique, est-ce de la fantasy, ou de la sf ? Ce point reste tout au long du roman indéterminé, et la fermeture du roman nous laisse au moins cette question ouverte : qu’est-ce qui différencie les deux genres lorsqu’on ne peut définir si un artefact est magique ou technologique ? Par ailleurs, la manière dont le pouvoir est présenté est tout à fait intéressante : un pouvoir quadri-polaire, capable de surmonter les limites de cette planète en utilisant la force de la pensée, et également capable de maintenir la cohésion sociale d’un monde pendant des milliers d’années. Ca m’a laissé bien songeur vis-àvis de l’exercice du pouvoir : derrière la monartchie apparente du coronal et du pontife, on trouve la différence entre un pouvoir exécutif et législatif, mais également une méritocratie assez ouverte, quoique réservée aux humains.
Et les points communs avec les US sont tout de même assez intéressants : on retrouve, masqué derrière les différentes parties du monde, un système d’état fédéral dont l’unité repose sur une personnne, le coronal-président, désigné dans les deux cas hors du peuple. Enfin, la présence des métamorphes parqués dans leur réserve finit d’éclairer ce qu’on ne peut que soupçonner : loin d’inventer, Majipoor est une image, un miroir tendu vers l’amérique, une toile sur laquelle viennent se poser des thématiques assez transparentes : l’égalité de tous, la culpabilité visà-vis des habitants originels, et surtout le destin qu’on peut se forger.
Enfin, la planète elle-même n’est, quelque part, qu’une représentation d’un monde américain, dans lequel rien d’autre n’existe que des endroits controllés par le coronal. Mais mon anti-américanisme primaire ne doit pas ôter à ce roman ses formidables qualités de construction de récit comme d’histoire, ni vous diminuer l’envie de le lire.