Une geste de l'avenir lointain

Situé dans l'avenir lointain, bien longtemps après que les humains sont devenus immortels et se sont confondus avec leurs intelligences artificielles, voici un âge d'or.
Le plus baroque sans doute qui ait jamais été décrit.
On y trouve pourtant des insatisfaits et des victimes, ainsi Phaéton de Rhadamanthe, amputé de sa mémoire.
Quel crime a-t-il commis ou projetait-il de commettre ? Est-ce parce qu'il redoute que l'humanité ne s'enlise dans le délire d'un confort cosmique ?
Phaéton va partir à la recherche de son passé, de sa mémoire, de sa fabuleuse richesse évanouie, de son amour perdu, à travers un cycle de trois volumes qui vont le mener bien au-delà des frontières de l'Oecumène.
Une geste de l'avenir lointain comme vous n'en avez jamais lu.
Est-ce que vous la méritez ?

Authors

Review

J’ai rarement lu quoi que ce soit d’aussi étrange.

Et pourtant, j’en ai lu des bouquins décrivant des univers un peu dingues, des visions de l’avenir un chouïa corrompues, ou tout au moins gauchies, mais des comme ça … jamais, je crois.

En fait, le point troublant dès le départ, c'est que l’auteur nous envoie directement à ce qui est sans doute pour lui la fin de l’humanité. Enfin, la fin, pas vraiment, puisque tout le monde est immortel, avoir un corps est devenu un mode de vie comme un autre, les humains ont complètement fusionné avec les IA, et chacun dispose de filtres sensoriels lui permettant d’enrichir ou d’appauvrir son environnement à la demande. Mais la fin quand même, puisqu’avec l’allongement de la durée de la vie, et l’augmentation des capacités de prédiction, la possibilité de faire prendre des risques à son environnement a diminué jusqu’à devenir pratiquement nulle.

Oh, bien sûr, bien d’autres choses ont changé, puisque les humains sont pratiquement devenus les invités des IA dans ce monde virtuel. Par exemple, changer ses sentiments, sa mémoire, sa personnalité, sont devenus des actes presque routiniers, et éprouver un sentiment est maintenant devenu l’équivalent d’une tenue vestimentaire aujourd’hui.

Vous vous doutez donc facilement que, dans un contexte pareil, écrire une histoire est assez complexe, pusiqu’on n’est jamais sûr de ce que sont réellement les gens d’en face, ni ce qu’ils pensent, et encore moins ce qu’ils veulent vraiment.

Mais je trouve qu’avec son récit partant à la conquête des étoiles, il s’en sort plutôt bien.

En même temps, ce n’est pas de ça dont j’ai envie de parler. Parce que bon, c’est vrai que c’est une histoire intéressante (même s’il faut *vraiment* s’accrocher pour ne pas se laisser décourager par l’univers empli de faux-semblants), mais pas autant qu’un autre aspect.

En ce moment, je tombe régulièrement sur des articles vantant le côté actuel ou pas de la SF. Et je pense que ce roman est la plus criante illustration, malgré ses difficultés d’accès, de cette actualité. Car, bien que l’homme ait conquis l’espace, et ait dominé la mort, il reste un homme, empêtré dans les éternels conflits entre la sécurité et la nouveauté, entre l’expansion et la stagnation. Et ça, c’est particulièrement bien rendu ici. En effet, ce qui fait de Phaéton(1) un paria, ce n’est pas le meurtre, ni la guerre, mais plutôt la possibilité, le risque d’une guerre. Et c’est à ce moment-là que j’ai compris que ce roman n’était pas une trop lointaine anticipation, mais une parabole sur le présent.

En effet, depuis le début du siècle précédent, l’humanité a augmenté massivement son espérance de vie, et a acquis une certaine sécurité dans l’existence, grâce à de nombreux mécanismes qui sont bien pratiques. La contrepartie de tout ça, c’est que moins on vit dans le risque, moins on a envie d’y vivre. D’où dans ce roman les filets de sécurité que ne veulent pas tendre les IA (pour protéger le libre arbitre), mais que sont prêts à tendre les membres du collège des hortateurs, représentants de l’humanité. D’où aussi notre fichu principe de précaution, érigé en premier garde-fou d’un monde qui a quitté l’adolescence. Ce principe de précaution, dans le roman, va ostraciser le seul homme souhaitant que l’humanité essaime les étoiles, par crainte qu’elle ne diverge. Pourtant, c’est cette divergence, et cette différence, qui lui permettra d’affronter d’une manière humaine la fin du soleil, plutôt que de s’entourer de trous noirs transformant notre système solaire en dévoreur d’étoiles.

C’est cette réflexion, je crois, plus que ses qualités littéraires qui me fait admirer ce roman. Parce que même si la SF pose souvent la question du devenir de l’Homme, elle la pose rarement avec une telle pertinence et une telle simplicité(2).
Cela étant, je ne conseille pas ce roman à tout le monde. D’abord, parce qu’il est assez difficile d’accès. Ensuite, parce qu’il repose sur énormément de conventions non écrites de la SF. Enfin, pas vraiment des conventions, plutôt des lieux communs. Et enfin, parce qu’il faut bien s’accrocher, puisque les personnages ont parfois engendré des clones portant presque le même nom, et puisqu’il est aussi possible à un personnage d’en devenir un autre pour un temps. Mais je trouve quand même que c’est une lecture qui soulève – avec style – des questions réellement fascinantes.
(1) J’ai bien aimé l’explication qu’il donne de son nom, sur le thème des vainqueurs qui réécrivent toujours l’histoire, ainsi, évidement, que le fait que, pour la première fois, on mentionne clairement l’horreur qu’il y a à ce que l’espoir soit resté dans la boîte de Pandore.
(2) Enfin, une fois qu’on a dépassé l’esthétique absolument magnifique, mais aussi absolument baroque, de cette oeuvre. Une esthétique dont j’aurais dû parler aussi, mais je préfère la profondeur du questionnement à la superficialité de l’esthétique.