Deux villes, un seul territoire... Beszèl et Ul Qoma se partagent un labyrinthe de rues enchevêtrées, s'ignorant mutuellement. Le passage de l'une à l'autre, un simple regard même, implique l'intervention d'une milice transnationale et omnipotente. Côté Besz, l'assassinat d'une jeune étudiante en archéologie va mettre le feu aux poudres... En charge d'une enquête délicate, entre secrets d'histoire et brouillard juridictionnel, l'inspecteur Borlu avance en terrain miné...

Review

Dans ce roman qui commence comme une enquête de police classique, on s'attache aux pas d'un policier qui va nous faire découvrir la complexité de sa ville.
En effet, ici, il ne s'agit pas de science-fiction classique, mais plutôt comme l'a dit Alice Abdaloff de géographie-fiction (sa ville n'existant évidement pas).
Et à partir de cette ligne, méfiez-vous des spoilers au moins aussi gros que ceux de la quatrième de couverture.
En effet, celle-ci révèle immédiatement ce que l'auteur prend une centaine de pages à nous expliquer par des moyens assez fins : Beszèl et Ul Qoma sont deux villes dont les territoires s’entremêlent d'une façon bien plus fine et plus complexe que tout ce que vous pouvez imaginer, puisqu'elles sont quasiment superposées.
Et pour expliquer ça finement, l'auteur nous expose d'une façon que j'ai trouvée réellement subtile l'ensemble des éléments de culture locale permettant de ne pas voir, de ne pas percevoir, et surtout de ne pas interagir autrement que par l'évitement avec les habitants de l'autre ville. Il y a donc des personnes qui sont évisées (c'est-à-dire évitées de la vision) ou non-entendues, les villes ont également des langues, des géographies, des cultures, des styles vestimentaires et des langues différentes et, finalement, passer de l'une à l'autre revient non seulement à faire un voyage à l'étranger, mais aussi (et surtout) à corriger son appropriation de l'espace public pour être perçu par les autres habitants (des deux villes) comme étant en voyage dans l'autre.
Tout cela est très habilement fait, comme est habilement construit l'enquête servant de guide de voyage, qui va méthodiquement explorer les deux villes, ainsi que la structure appliquant les règles obscures les séparant. Bon, bien sûr, il y a dans cette enquête quelques poncifs : si deux villes se superposent, pourquoi pas une troisième ? Et si quelqu'un connaît suffisamment les lieux et leurs cultures, peut-il passer de l'une à l'autre sans passer la frontière officielle ?
Tout cela est donc très habile, très bien construit, et un porteur d'une forme d'hommage aux villes cloisonnées que sont/furent Jérusalem, évidement, mais aussi Berlin. Et le fait que l'existence de la troisième ville jointe ne soit jamais confirmée ou infirmée est une preuve de plus du talent de l'auteur, qui ne cherche pas à résoudre ce qui est l'un des authentiques mystères de ce roman (avec la fondation de ces cités siamoises).
En un sens, ce genre d'exploration ne me surprend pas de la part de l'auteur, mais reste une excellente surprise, qui mérite donc une lecture attentive.