" Il est grand temps de s'apercevoir que ce qui divise les rameaux tient moins de leurs différences que de leurs similitudes, dont le racisme et l'autosatisfaction sont les pires exemples. " Quand les animauxvilles ont surgi dans le système solaire pour héberger les humains, ils leur ont aussi permis le voyage instantané. Alors l'humanité s'est scindée en quatre rameaux : autant de cultures, autant de modes de vie, autant de systèmes politiques. Qui se méprisent faute de pouvoir se faire la guerre. Aujourd'hui l'heure des retrouvailles a sonné : les animauxvilles ont décidé de convoyer des représentants de chaque rameau pour assister à l'explosion d'une supernova...

Review

Il nous raconte donc les retrouvailles entre une humanité éparpillée non seulement dans l’espace, mais aussi dans ses modes de vie. On y trouve des hommes fusionnant avec leur armure de combat, des connectés plongeant sans trêve dans une matrice, des organiques choisissant la symbiose, et enfin des originels pour qui pour échapper à la mort passe par des espèces d’hologrammes semi-intelligents. Naturellement, ces quatre branches de l’humanité se haïssent, se craignent, se détestent mais sont indipsensables les unes aux autres. Ces retrouvailles se font grâce aux extra-terrestres de service, qui prennent cette fois-ci la forme de vaisseaux vivants, appelés avec une imagination rare les AnimauxVilles.
Contrairement à un avis précédement formulé ailleurs, j’ai bien aimé ce roman, même s’il n’est pas, à mon avis, au niveau des meilleurs du genre. On y trouve cependant un souffle épique (même si le nombre d’intervenants dans l’histoire est assez faible pour en faire un space opera intimiste), et un talent pour nous décrire ces humains qui est assez étonnant. On plonge en effet dans quatre humanités très différentes : les mécanistes, nettement inspirés des samouraïs, sont des combattants forcenés, alliant à une redoutable efficacité la paranoïa propre aux civilisations guerrières. Les connectés sont quant à eux les cyberpunks du coin, vivant dans leur univers virtuel et plongeant en apnée dès lors qu’ils doivent se confronter au vrai monde. Les organiques sont quant à eux plus étranges, plus proches d’une espèce de résurgence de la magie, avec leurs embiotes leur permettant des adaptations dignes de celles des mécanistes, mais les obligeant à créer sans cesse, et enfin les originels, qui ne sont pas des humains préservés, mais ceux qui choisissent de laisser leur corps au vestiaire pour vivre sous une forme astrale proche des fantômes. On le voit, le catalogue de l’humanité fait assez penser à un jeu de rôle space-op assez moderne.
Cependant, tout cela n’est qu’un habillage pour le vrai thème du roman : la mort. En effet, si la première moitié pose le décor, fort complexe, de cette humanité où chaque rameau, indépendament, affronte les prémisces de sa sénilité, toutes ont en commun une fuite face à la mort avec leurs propres moyens, qu’ils soient technologiques, biologiques ou virtuels. Et cette exploration est à mon avis bien plus importante que le masque de space-op que les auteurs ont voulu donner à ce roman. Car si chaque rameau affronte sa mort avec ses propres moyens, le roman devient vraiment très intéressant dans sa seconde moitié, lorsqu’il s’agit de comprendre que la vie passe par la rencontre entre ces rameaux. Bien sûr, nos auteurs sont malins, et ne nous disent jamais tout cela directement. Cependant, la symbolique des retrouvailles face à une étoile mourante est indéniable : chacun, du Charon à la connectée, affronte sa fin avec ses propres moyens, et les AnimauxVilles ne sont pas plus insensibles à cette peur irraisonnée, qui les a fait modifier la structure de l’univers, mais surtout la répartition de l’humanité. Tout cela est bien, mais ne suffit pas à faire de ce roman une oeuvre totallement indispensable. Certes, c'est un bon roman, et on est ici très loin des romans à l’américaine avec happy end ou fin dramatique mais spectaculaire. Le roman se conclut sur un nouveau départ, et c’est fort bien, mais cela n’occulte pas à mon goût certains manques.
J’aurais préféré que l’histoire exploite d’avantage les rapports humains entre rameaux, ici réduits à une expression assez simple, alors qu’ils sont la clé de cette histoire. Et puis, il manque une dernière chose à cette histoire : un observateur "central", c’est-à-dire un humain qui ne soit pas du tout modifié. Car même les originels, qui à première vue sont assez naturels, apparaissent soudain comme de complets étrangers lorsqu’ils quittent leur incarnation pour utiliser leur personae. Bref, c’est un roman intéressant, dont je n’ai peut-être pas percé tous les mystères, qui mérite une lecture attentive, sans être pour autant (à mon avis) un roman indispensable. Entendon-nous bien : il est bien, et même très bien pour un roman francophone. Et il mérite assurément une lecture, et il est à mon sens une référence en sf francophone.

La réponse d’un des auteurs

L’avantage à poster sur news://fr.rec.arts.sf, c’est qu’un certain nombre d’auteurs de sf française y mettent régulièrement les pieds (certains, comme 212409 y ont même leur rond de serviette). Dont Ayerdhal. J’ai donc eu la chance de recevoir cette réponse à mon avis :

Félicitations, vraiment. Je crois que tu es le premier à signaler ce point qui était fondamental dans notre projet d’écriture. Je retrouve dans les notes du roman l’extrait suivant: "les supergroupes humains ont orienté leurs cultures vers le dépassement, le surhumain et la fusion/symbiose, selon des notions très dissemblables qui se rejoignent dans les rapports avec la mémoire et les morts. (Chaque rameau doit pouvoir se définir par ses rapports avec la mémoire et ses rapports avec les morts)." Ca fait plaisir de voir qu’il y en a au moins un qui suit ;) Non, plus sérieusement, le thème des rapports à la mort et à la mémoire (deux faces de la même pièce, ici) ont vraiment été au centre de nos questions et de nos idées - enfin disons de ce que nous avons essayé de faire. Je suis d’accord avec l’ensemble de la critique, d’ailleurs—y compris avec la description des insuffisances et avec le terme "space opera intimiste" parce qu’il y a effectivement de ça. Après, tout dépend des goûts de chacun.