J'ai eu la chance de recevoir en avant-première un exemplaire de ce recueil (merci Xavier) qui n'est pas forcément dans mes habitudes de lecture (je ne suis pas un grand fan de nouvelles), mais l'occasion faisant le larron, et Sheckley faisant pour moi partie des auteurs de l'âge d'or ... pourquoi pas.
On a donc affaire à un recueil d'un peu plus de 400 pages, réunissant 13 nouvelles et une postface (écrite en 1972 pour une autre anthologie). Je vais essayer de vous livrer mes souvenirs sur ces nouvelles (ce qui est toujours un bon moyen de savoir si elles ont été marquantes, ou pas)
Le Prix du danger (The Prize of Peril, 1958) Dans une anticipation très intéressante de la téléréalité, un américain moyen accepte d'être pourchassé pendant un temps donné avant, si il survit, de gagner une somme rondelette. Pensez à
Escape, diffusée sur RMC Découverte, et vous serez très proche de la réalité.
Les Morts de Ben Baxter (The Deaths of Ben Baxter, 1957) Pour sauver le futur, une équipe de voyageurs temporels doit explorer différents passés dans lesquels Ben Baxter meurt et éviter ça.
Une Race de guerriers (Warrior Race, 1952) Une histoire qui m'a mis franchement mal à l'aise mettant en scène des guerriers qui, pour gagner la guerre, se suicident pour faire honte à l'adversaire
N'y touchez pas ! (Hands Off, 1954)Des aventuriers terriens tentent d'échanger leur vaisseau contre un autre, bien plus avancé. Mais sont-ils adaptés à ce vaisseau ?
La Mission du Quedak (Meeting of the Minds, 1960) Un extra-terrestre débarque sur Terre et tente d'assimiler animaux et humains. Y arrivera-t-il ? L'histoire ressemble un peu à la guerre des mondes, mais en toutefois assez différent.
Tu brûles ! (Warm, 1953)Une nouvelle très particulière, où le personnage principal commence à voir le monde comme un réseau de conventions sociologiques. Et qu'y a-t-il sous ces conventions ? Rien.
Un billet pour Tranaï (A Ticket to Tranai, 1955)Un homme entend parler de l'utopie réalisée, et quitte sa ville terrienne pour rejoindre la planète qui la réalise. Mais est-ce vraiment l'utopie ? Le thème est archi-connu, mais il est exploité avec une certaine finesse, et un angle assez amusant.
Le Temps des retrouvailles (Join Now / The Humors, 1958)Un homme s'étant scindé en son ça, son moi et son surmoi essaye de retrouver l'unité. Et ça n'est pas facile. La nouvelle nous offre en plus un voyage qui part de la Terre pour visiter Mars et Vénus.
Tels que nous sommes (All the Things You Are, 1956) Premier contact entre des explorateurs humains et une race indigène, celui-ci met en valeur le danger que représentent les hommes, mais aussi leur capacité à créer (involontairement).
La Suprême récompense (The Victim from Space, 1957)Sur cette planète, une vie bien menée mérite une mort atroce. Que se passe-t-il quand un homme arrive et améliore beaucoup les choses pour tout le monde ?
Les Spécialisés (Specialist / M Molecule, 1953)J'ai pris cette histoire comme un exercice de style, dans lequel un vaisseau spatial, composé de créatures vivantes, avait besoin d'un homme pour pousser le véhicule plus vite que la lumière.
La Septième victime (Seventh Victim, 1953)Et si on avait le droit de tuer pour se libérer de la frustration que nous fait ressentir la société ? Dans ce cas la loi impliquerait que la victime, aussi volontaire que le meurtrier (parce que tout le monde ne ressent pas cette pulsion), aurait le droit de se défendre, parfois avec beaucoup de subtilité ...
Permis de Maraude (Skulking Permit, 1954) Lorsqu'un village du nouveau-delaware, une colonie perdue au fond de l'espace, reprend contact avec la Terre, ce village découvre qu'il faut être civilisé, et donc avoir des criminels. Et ça n'est pas simple.
Marc THIVOLLET, De la science-fiction du dehors à celle du dedans (1972)Si les nouvelles datent des années 50, cette postface date elle des années 70. Et si j'ai eu une certaine indulgence pour les aspects datés des nouvelles, j'ai trouvé cette postface particulièrement fastidieuse : l'auteur essaye d'y faire assaut de style. Et je l'ai trouvé tellement lourd que je n'ai pas lu celle-ci en entier.
ConclusionIl y a clairement dans ces nouvelles un personnage sheckleiein : un homme (nous sommes dans les années 1950, que diable), épris de liberté (nous sommes aux états-unis avant tout) mais également de réussite sociale, qui pourtant n'y arrivera pas (la faute à un auteur trop épris de la manière particulièrement canulardesque qu'à l'univers de fonctionner) qui pourtant va tout donner. C'est vrai dans presque toutes les nouvelles, et je ne vais pas dire que j'ai ressenti d'empathie pour ces personnages (sauf pour le dernier, qui se retrouve criminel pour la cause de sa société). En revanche, j'ai (et c'est rarement le cas) beaucoup apprécié la manière qu'avait l'auteur pour retourner le monde comme un gant histoire d'y emprisonner le personnage principal dans une situation qui sera souvent en sa défaveur. parce que même ceux qui croient gagner vont, au bout du compte, y perdre. Et souvent, ils vont y perdre la vie.
C'est d'ailleurs, vu du XXIème siècle, une forme d'étrangeté que de voir la violence sous-jacente qui imbibe la plupart de ces récits : on s'y bat, on s'y tire dessus, et on y meurt facilement. Il n'y a certes pas de scènes d'action, mais quand même, beaucoup de morts, et dans des décors assez exotiques.
Ces décors qui nous font bien voir l'âge d'or de la SF avec tout ce qu'il a de naïf et de romantique : vous pouvez aller sur n'importe quelle planète perdue au fond de l'espace, vous y trouverez une atmosphère respirable, des autochtones parlant votre langue (ou une langue que vous apprendre le temps de vous poser par imprégnation hypnotique), et vous serez baigné dans des décors grandioses et exotiques. Ca ravit à chaque fois l'enfant aventureux en moi. Mais l'homme qui a écouté un peu parlé d'astronomie dans les vingt dernières années, lui, pose un oeil un peu réprobateur sur ces facilités. Même si elles permettent des récits souvent amusants.
Et l'un dans l'autre, même si les nouvelles trahissent leur âge (avec notamment le rôle uniquement décoratif de la femme), je dois dire que j'ai apprécié cette lecture pour ce qu'elle était : une vision amusée, mais aussi sacrément habitée, de ce que pourrait être la vie dans des mondes possibles, à défaut d'être agréables.