Le tocsin de la guerre résonne aux portes de l'Union. L'armée du monde libre, inexpérimentée, mal équipée, divisée par les querelles intestines que se livrent ses chefs incompétents, semble inconsciente du danger qui la guette. Face à elle, sur le front du Nord, les barbares de Bethod se chauffent d'un tout autre bois. Au Sud, les forces du Gorkhul se massent au pied de la cité de Dagoska. Alors que la ville bouillonne des préparatifs de la bataille, l'inquisiteur Glotka - affecté là après la disparition suspecte de son prédécesseur - découvre une conspiration visant à livrer la ville à l'ennemi sans combat. Menacé à chaque instant, Glotka a besoin de réponses, et vite. Pendant ce temps, la poignée de héros réunie par Bayaz prend la route du Vieil Empire, à destination du bord du Monde. Le Mage espère y trouver la Graine, une relique surpuissante, jadis responsable de la destruction de plusieurs villes, et peut-être aujourd'hui l'unique voie de salut pour l'Union. Mais encore faut-il pouvoir s'en emparer, et la contrôler !
Review
Deuxième tome sur trois, celui-ci est évidement une transition entre la situation posée du début et la conclusion qu'on imagine forcément fracassante.
Et qu'est-ce qu'on fait dans un tome de transition ? Eh bien ... on transitionnne. En l'occurence, un peu comme dans le Seigneur des Anneaux, un paquet de personnages part pour une longue quête qui leur fait traverser le monde, tout en découvrant certains aspects de son histoire (finement racontés par l'un de ses protagonistes lors des veillées) qui, tout en gardant la constante de la magie qui s'éteint peu à peu, remplace toutefois le passé mythique peuplé de gentils génies par une version beaucoup plus crédible habitée de demi-dieux trop humains et trop jaloux pour leur bien. A mon sens, ce voyage, et les découvertes qui vont avec, est le vrai coeur de ce tome. Face à ça, la tentative désespérée de défendre le sud face aux ennemis par l'inquisiteur Glotka est certes spectaculaire et parfait en tant qu'illustration de ce qu'est un siège, mais quand même un peu anecdotique. De la même manière, la guerre dans le Nord est d'une violence assez terrifiante, mais n'a pas le poids scénaristique de ce voyage.
Non pas que ces deux éléments soient négligeables, bien au contraire.
En effet, lors des aventures de Glotka, on découvre un infirme hanté par son passé, un personnage que j'ai trouvé authentiquement crépusculaire et qui est pourtant capable de compassion, mais d'une façon curieuse, déplacée, maladroite, qui, avec son talent évident pour la souffrance et pour l'enquête, nous plonge dans de jolis petits mystères. Qui plus est, le jeu d'intrigues politiques dans lequel il baigne ajoute un côté frustrant, incertain, fluctuant à ses actions et ses relations. Tout cela arrive très bien à nous plonger dans le bon état d'esprit pour comprendre ce personnage qui serait, sans ces efforts d'empathie, absolument ignoble.
De la même manière, les personnages présentés dans le Nord, au premier lieu desquels West et le Renifleur, donnent à ce conflit barbare une dimension humaine réellement appréciable, à la fois parce qu'ils nous plongent au coeur de la bataille (la bataille du prince Ladisla est un chef d'oeuvre de bataille bien mise en scène), mais aussi parce que leurs rôles respectifs, et l'inversion qui les caractérise (barbare/civilisé) marche parfaitement : au bout d'un moment, West n'apparaît plus comme un brave gars de la ville plongée dans une guerre brutale, mais un type qui n'a plus vraiment de scrupules.
Pour en finir avec les personnages, le groupe partant en quête est, à mon sens, parfait : soudé puis évidement déssoudé par le voyage, chaque personnage est porteur d'une histoire et d'un destin qui prend le temps de devenir apparent par touches impressionistes, sans toutefois nous permettre d'oublier que c'est une oeuvre qui illustre avant tout la violence d'un monde où la seule façon de survivre est d'être plus cruel, plus impitoyable que son adversaire ... l'exemple du Sanguinaire étant à ce titre exemplaire.
il y a donc dans ce récit des personnages particulièrement denses, un choix de mise en scène intéressant, intelligent et pleinement assumé. Evidement, il y a quelques défauts, comme par exemple un monde manquant peut-être de magie, de spectaculaire. Mais à mon avis, c'est un choix conscient : le seul lieu réellement spectaculaire qui soit présenté est en ruine, comme semble l'être toutce monde, plongé dans une forme de déchéance, de renoncement qui colle bien avec l'ambiance crépusculaire de ce récit. A ce titre, la découverte finale est parfaitement éclairante (la phrase de Ferro est incroyable : "l'espoir, c'est pour les faibles").
Et puis il y a dans ce roman, encore une fois particulièrement dans la quête, une philosophie du renoncement qui se dégage : entre les "encore vivant" murmurés après les combats, toutes les pertes morales que subissent les différents personnages, et même les discussions, qui montrent bien que la vie n'est qu'une vallée de larmes. Tout cela apporte à ce qui serait sinon assez brutalement quelconque une dimension initiatique, un voyage qui n'est pas qu'extérieur, que j'ai trouvé très plaisant, et même enrichissant.
Je suis en fait assez surpris de n'avoir pas plus entendu parler de cette oeuvre, dont le premier tome était spectaculaire, dont le second tome est réellement impressionnant par tous ces aspects. Et je ne peux en fait que vous encourager à lire au moins ces deux premiers tomes, qui méritent vraiment la lecture.