31 août 2021
sourceCet article correspond à un sujet qui me tient de plus en plus à coeur, qui explique beaucoup de choses, (et dont j'ai déja parlé à mes collègues) mais dont j'entends peu parler.
Quand on parle de l'histoire de l'informatique, les premières choses auxquelles les développeurs pensent (et pas qu'eux, encore que je ne suis pas sûr que Catherine Dufour - la trop peu célèbre autrice d'une biographie d'Ada Lovelace - soit disqualifiée comme informaticienne) est Ada Lovelace, la déesse tutélaire, Alan Turing et son test ou encore Von Neumann et ses machines. Ces éléments sont certes intéressants, mais ils font partie d'une histoire fantasmée, d'une espèce de récit national. Et si, pour de trop peu nombreuses personnes, l'histoire est une science, pour le plus grand nombre, l'histoire est un moyen de définir son identité.
Et cette définition des informaticiens comme des héros incompris colle avec la démographie, à défaut de coller avec la réalité.
Or, comme je l'écrivais, l'histoire est souvent un moyen de définir son identité. Si au lieu de regarder du côté des développeurs, on regarde du côté des entreprises, le site du CIGREF présente une histoire de l'informatique vue par le spectre des entreprises particulièrement intéressante, et que je me permets de me recopier ici.
Si on regarde cette préhistoire de l'informatique, on constate que Bull, IBM existent avant les travaux de Turing. Et ça n'est pas un hasard, parce que ces entreprises fournissent alors des machines d'automatisation et de comptabilité. Et la comptabilité, avant tout, c'est une source de coûts : avant ces machines, il faut des calculateurs, souvent humains, par dizaines, voire plus (c'est d'ailleurs ce qui s'est passé à Los Alamos, qui rassemblait pour le projet Manhattan tous les étudiants américains sachant compter). Et comme souvent, la guerre sera un terrible accélérateur qui permettra à ces entreprises de faire le virage de l'électronique, puis de l'informatique : dès les années 70, les ordinateurs nécessitent des systèmes d'exploitation, des langages de programmation plus performants.
Mais qui dirige ces innovations ? Les laboratoires de recherche ou les grandes entreprises ? Mon point de vue est évident : l'informatique est apparue comme un outil d'optimisation des coûts, en effectuant les calculs plus vite (plus correctement, et pour moins cher) que des humains. Et c'est à mon avis en accord avec le fait que, pendant longtemps, l'informatique s'est cantonnée dans les entreprises au back-office ... Parce que l'informatique a été vue, historiquement, comme un outil de comptable : un moyen commode de connaître la santé d'une entreprise sans pour autant déployer des armées de comptables dans tous les services.
Et cette "histoire alternative" n'inclut évidement pas certains événements récents, qui font partie de la révolution industrielle de l'informatique : l'explosion de l'ordinateur individuel, la transformation du monde par internet, la première bulle des startups de l'an 2000. Pourtant, je pense que ces différents éléments restent explicables dans ce cadre.
Si cette vision est à peu près globale jusqu'en l'an 2000, l'explosion d'internet précipite toutefois une bascule géopolitique : les états-unis prennent nettement le pouvoir dans ce domaine, reconnu dès cette époque comme essentiel (peut-être que les liens entre les start-ups de l'époque et les agences de renseignement ont aidé). Alors qu'en France ... il ne se passe rien.
Et c'est bien normal.
Un jour, je détaillerai pourquoi la France n'est plus un pays techno-scientifique (n'hésitez pas à me le demander en commentaires). Disons pour l'instant que les patrons d'entreprise sont plus souvent issus d'écoles de commerce que d'écoles d'ingénieurs, et qu'il en va de même des responsables politiques.
Toujours est-il qu'en France, une révolution technologique, ça n'intéresse pas grand monde, sans doute parce qu'il n'y a pas de leader technologique mondial en France. De ce fait, l'informatique, qui est devenue aux états-unis un moteur de croissance, reste en France un centre de coût. C'est-à-dire une capacité technique (par opposition à un élément du métier) que les entreprises souhaitent acquérir à un tarif validé par les comptables.
Et c'est là que Quentin Adam entre en scène
Enfin, Quentin, et une petite explication sur les ESN
Parce qu'après tout, une ESN est simplement une entreprise de services numériques, non ? Elle offre à ses clients une prestation technique, non ?
Je pense que, dans la plupart des cas, une ESN offre un tout autre service. Si on comprend l'informatique comme un centre de coût et non un moteur de croissance, il est important de limiter ce coût. Pour le limiter, le plus efficace (en France) est de ne pas recruter de collaborateurs dans l'entreprise, parce que ça coûte cher, et qu'il est long et difficile de s'en séparer. Et c'est le service fondamental qu'offre la plupart des ESN : fluidifier la gestion de la masse salariale en permettant aux clients de disposer facilement de personnel qualifié au moment opportun.
Que je sois bien clair.
Cet objectif n'a rien de mal ni pour le client du service ni pour le fournisseur de ce service.
Mais il faut bien comprendre quelque chose : ce service n'a aucun rapport avec la production du logiciel ni avec sa qualité.
Et ça explique à mon sens pourquoi l'informatique reste, en France, un sujet de plainte chez la plupart des gens : si la qualité du logiciel produit n'a que peu de rapport avec la qualité de la prestation réalisée par un sous-traitant (et croyez-moi, les ESN conçoivent leurs contrats de prestation dans le but express de ne pas inclure la qualité technique de la prestation technique dans l'évaluation du projet, avec l'accord du client), il est évident que les logiciels réalisés, dont notre vie dépend de plus en plus, sont d'une qualité aléatoire.
Qui plus est, les ESN n'ont pas intérêt à développer des logiciels polyvalents, puisque ça limiterait le nombre de prestataires de service placés chez les clients. Pour aller plus loin, les ESN n'ont pas vraiment intérêt à permettre l'apparition d'éditeurs de logiciels, sauf ceux permettant de multiples missions d'adaptation, comme le permettent les fameux logiciels d'entreprise qui apportent une plus value douteuse, simplement parce que l'éditeur et l'ESN fournissant l'intégration sont motivés pour vendre des prestations, plus que pour fournir un service optimal.
C'est un tableau assez sombre, et malheureusement je ne sais pas trop comment en sortir. Qui plus est, ce tableau a des conséquences qu'on verra plus tard ...