J'ai écrit il y a peu un petit truc sur La structure du marché informatique en France. Si vous ne l'avez pas lu, je pense que ça le mérite. Et maintenant que vous l'avez lu, on va passer à autre chose. Et comme la question est en titre, je ne me répète pas.

Où travaillent les développeurs en France ?

Ou plutôt, qui sont les employeurs en France ? Je n'ai pas de chiffres précis ... Mais j'ai quand même une approximation. Enfin, ZDNet dispose d'une approximation que j'ai même traduit en image

Oui, je suis un infographiste de compétition

Comme vous le voyez, si vous voulez travailler ailleurs que dans une ESN, ça va être dur.

Mais d'où ça vient ?

C'est assez simple structurellement, et franchement, vous vous en doutez déjà : dans un marché dominé par des entreprises développant des logiciels sur-mesure, les éditeurs de logiciels, qui produisent du logiciel "standard" et moins adaptable sont désavantagés sur le plan de l'adaptation au besoin, mais évidement intéressant financièrement.

Cependant, et c'est la partie délicate, une partie significative du logiciel développé en France est cachée : les entreprises développent beaucoup plus de logiciels correspondant à leurs besoins internes que de logiciels publiquement exposés. Et ces logiciels internes sont, la plupart du temps, développés sur mesure. Sans doute parce que, dans une rhétorique du sur-mesure très "la France, le pays du luxe", chaque dirigeant est incité à penser que son entreprise est et doit être absolument spécifique.

Autrement dit, le marché incite les clients à consommer (c'est un poil le concept de société de consommation). Et qui dit incitation à consommer, dit aussi produit de qualité médiocre, mais comme je l'ai écrit, ça n'est pas l'objectif ...

Cependant, si la qualité n'intéresse pas le client ni le vendeur, ça intéresse quand même un peu plus le consultant qui va honorer la promesse vendue.

Et il y a pire

Est-ce qu'informaticien est un job qui fait rêver ? D'après le parisien .. pas vraiment (oui, j'ai parfois des sources de qualité) ou plutôt ça n'est pas un métier dans la liste de ceux qui font rêver. En revanche, même l'état le dit, c'est un métier qui recrute. Et, pire encore, on retrouve le "métier" d'informaticien par exemple dans cette liste des dix métiers que les français ne veulent pas faire. Il s'agit donc d'un métier pour lequel on cherche des compétences, et qui ne fait pas rêver, ok, la démonstration est faite. Mais ça implique quoi ?

Ca implique d'abord que les gens sensibles à l'image qu'ils projettent ne feront pas ce métier à cause du stigmate social (c'est rare, mais ça arrive). Ca implique aussi que, puisqu'on ne trouve pas assez de gens motivés pour faire ce métier, il s'agit aussi d'une voie de reclassement. On trouve donc régulièrement (et j'ai eu également des collègues très sympathiques qui étaient dans ce cas) des gens en reconversion, qui n'ont aucune appétence particulière pour ce métier. Ceux qui vont passer leur pause à vous parler du dernier match de foot ou de la dernière série à la mode. Cette population a un point commun avec ceux qui, dirigés par leur ambition (ou leurs enseignants en formation), souhaitent avant tout devenir des chefs, parce qu'être chef, c'est cool.

Ca crée donc une population de développeurs peu sensibles à la qualité des logiciels produits, et plus à la satisfaction de leur hiérarchie. Ca n'est pas une mauvaise chose en soi, mais ça n'aide pas à la satisfaction du travail bien fait.

Mais alors, on fait quoi ?

C'est la question que m'a posé un collègue cette semaine. Globalement, en tant que développeur, vous avez le choix entre

  • Travailler chez un client final, auquel cas votre travail est avant tout politique. Ca n'est pas une mauvaise chose, pour peu que vous aimiez l'idée de convaincre les gens du bien-fondé de vos plans stratégiques, et que vous ne vous intéressiez que modérément à la réalisation technique de ces plans. Vous aurez par ailleurs accès à des locaux spacieux, à un salaire plutôt élevé et aux moyens d'une entreprise établie, mais chez laquelle l'informatique n'est qu'un moyen (puisque vous vous replacez dans le contexte historique de développement de l'informatique : un moyen d'optimiser les coûts de l'entreprise pour faciliter son développement).
  • Travailler dans une ESN, où vous serez confrontés à des projets variés, dans des contextes variés, mais où vous ne choisirez pas le contexte métier. Ca veut dire aussi que vous serez envoyé en mission à peu près n'importe où, et traité par vos interlocuteurs quotidiens (les clients de votre employeur) comme un fournisseur.
  • Travailler chez un éditeur de logiciel, où le contexte ne changera pas (ce qui ne veut pas dire que vous aimerez ce contexte), et où la réussite de l'entreprise dépendra directement de la qualité de ce que vous produisez. Évidement, vous serez un peu moins bien payé, sans doute à cause des difficultés existentielles des éditeurs. Et votre "aventure" a des risques de mal se terminer.

Ecrit comme ça, aucun choix n'est bon. Mais en vérité, aucun n'est non plus vraiment mauvais ... Sauf bien sûr si vous croyez à la fin du capitalisme ... Mais on en reparlera.

Pour ma part, j'aime continuer à coder ... mais je me rends compte que je suis de moins en moins intéressé par le développement dans le contexte d'entreprise. Et comme j'ai une expérience significative, je peux aider mes clients en fournissant d'autres services : de l'architecture, de l'accompagnement des développeurs (et des équipes). Et je pense que pour les développeurs un peu passionnés, les opportunités d'évoluer dans des environnements favorables (autrement dit où on ne se fait pas trop emmerder) sont en ce moment innombrables.

Cela dit, ce serait bien que les choses changent. Mais ce sujet mérite lui aussi un article complet (et je suis sûr qu'il y aura un lien avec le dernier épisode des castcodeurs)