CLEER est un concept, une idée flottant dans l'éther, une pure lumière. CLEER est une corporation, une multinationale d'aujourd'hui et de demain, tendant vers l'absolu. Vinh et Charlotte participent de cet effort. Ils sont des consultants spéciaux, ils résolvent les problèmes mettant en jeu le bien le plus précieux du groupe : son image. Pour eux, les cas de disparitions, les épidémies de suicides, les contaminations transgéniques. Ils défendent la vérité, la transparence, la fluidité de l'information, les intérêts des actionnaires. Ils sont l'ultime ressource contre la superstition et le chaos. Ils sont la Cohésion Interne.

CLEER est le témoignage d'un univers professionnel aux limites de l'incandescence.

Authors

Review

Décrire ce roman est aussi aisé que de décrire les activités de Cleer. C'est lumineux, éblouissant même, et pourtant indescriptible.

Disons que ce roman débute avec l'intégration de deux recrues prometteuses au service Cohésion Interne de Cleer, qu'on pourrait décrire à priori comme une espèce de méga-corporation, voire même de holding transnationale. Ah, et cette holding a un mot-clé, un concept descrripteur : la lumière, le blanc, la transparence (ne me demandez pas pourquoi je mets trois mots derrière un seul concept, c'est,, je pense, l'une des magies de cette histoire).

Nos deux recrues sont aussi différentes que complémentaires : il y a Vinh Tran, ambitieux, sans scrupule, pratiquant les arts martiaux et le hacking, et Charlotte Audibertti, essentielle composante humaine et humaniste, plus tournée vers l'empathie et l'analyse des schémas émotionnels. Ils intègrent donc la Cohésion Interne, une espèce de servcie interne visant à améliorer la cohésion du groupe. Le voir comme ça serait aussi illusoirement simpliste que de voir la section Contact de la Culture comme un "simple" point de contact avec les civilisations extérieures.

Ils se verront donc confier des missions lors desquelles la sacro-sainte du groupe peut être mise en danger. Attention, je ne dis pas qu'elle est mise en danger, mais plutôt qu'elle pourrait l'être. Suicide en entreprise, éco-activisme hostile, déraillage de projets industriels seront donc leur lot. Mais attention ! Nos personnages principaux ne sont clairement pas des exécutantsd e bas-nvieaux, mais plutôt des facilitateurs de processus de décisions, des catalyseurs de succès.

Est-ce que vous reconnaissez dans ces phrases quelques-uns des slogans des "big four" du consulting ? Ca tombe bien, c'est ce que veulent nous faire croire les auteurs, avec beaucoup de succès d'ailleurs : j'ai cru voir pendant les deux cent premières pages de cet étonnant récit le trente-deuxième étage de la tour de la Défense occupée par certains services que j'ai visité vers 2007 ... L'impression de quasi-réalité était suffisament saisissante pour que j'essaye d'identifier des schémas, des éléments. Et évidement c'était voulus par les auteurs qui voulaient me déstabiliser en ma faisant croire à une certaine forme d'irréalité alors que le roman n'en traite peut-être pas. C'est même à mon sens l'un des faux enjeux fondamentaux de cette histoire : essayer de comprendre de quoi il retourne.

Parce qu'il faut être lucide : mis à part peut-être (peut-être seulement) dans les deux premiers récits, nos héros ne résolvent aucune des situations qu'ils sont venus résoudre. ou plutôt la résolution ne prend aucune forme autre que spirituelle ... Enfin, je crois, je n'en suis en fait même pas sûr : tout se dissipe dans la lumière, la transparence, l'évanescence.

Du coup, on pourrait être tenté de croire qu'il n'y a pas d'histoire, que tout cela n'est qu'une vaste supercherie. Eh bien je suis heureux de dire qu''il n'en est rien. Si ce roman utilise l'immatérailté et l'évanescence, j'ai bien l'impression que c'est à la fois dans le but de construire l'histoire de l'ascencion entrepreneuriale (un truc qui serait très Madelin si ça ne n'était pas la forme d'ascencion à laquelle on assiste), et également dans le but de critiquer cet espèce de chateau de carte qu'est le monde du consulting.

En ce sens, le terme de fantasy corporate est absolument parfait : prendre les codes de l'entreprise moderne et les subvertir pour en faire cette urban fantasy, c'est incomparabelemnt plus audacieux que de nous sortir encore une histoire de loups-garous motards et de vampires festifs et décadents. Là, l'interprénétration du merveilleux et du réel se fait réellement sans solution de continuité : le passage des simples opérations de consulting au voyage astral ou autre expérience mystique ne se laisse absolument pas sentir.

Tout cela se fait évidement par la grâce d'une écriture à quatre mains que je ne peux que qualifier de parfaite : ce n'est pas parce qu'un L de Kloetzer est masculin et l'autre féminin que j'aila moindre certitude que le découpage d'écriture entre Charlotte et Vinh ait pu se faire sur une base aussi ridiculement matérialiste que le sexe de l'auteur, et tout comme je n'ai pas senti de passage dans la fantasy, je n'ai pas non plus senti de passage d'un auteur à l'autre.

Le dernier point que j'aimerai souligner (alors que Iain M. Banks est décédé dès la fin de ma lecture de ce roman) est l'hommage évident que les Kloetzer rendent à l'auteur de la Culture : que ce soit dans la parenté évidente entre la Cohésion Interne et Circonstances Spéciales, dans le coté pervasif des systèmes de communcation, ou même dans l'hommage fait via le programme des activités de je ne sais plus quel chef (toutes ses activités initiales portent les noms de romans du cycle de la Culture), je veux voir dans tout ça une forme d'hommage à ce si grand auteur. Un hommage subtil (comme tout le reste de ce roman), mais un hommage évident, sincère, et évocateur.

Tout ça fait de ce roman un authentique chef-d'oeuvre, essentiellement parce qu'il allie à une apaprente simplicité une sensation - encore persistante maintenant - de quasi-compréhension aussi agaçante que délicieuse. Et, en tant que chef-d'oeuvre, c'est une lecture indispensable à ceux qui veulent sortir de la SF pan-pan-boum-boum, ou de la fantasy à grosses népées.