Quelle lecture, non mais quelle lecture !
Ce roman nous raconte l'histoire de Defred, servante écarlate donnant son titre au roman. Dans cette histoire racontée à la première personne (façon journal intime, donc), on découvre à travers son histoire personnelle l'histoire plus globale de la transformation des Etats-Unis en une espèce de régime autoritaire curieux, où la plus grande vertu d'une femme est d'être un utérus fertile, cette vertu en faisant un personnage un peu marginal, à protéger de tout (et surtout d'elle-même).
Par où commencer ?
Eh bien simplement par l'écriture.
Vous savez que je tiens en horreur les récits introspectifs comme
L'Assassin royal, où le personnage passe son temps à se lamenter su sa petite personne. Et dans ce récit, c'est précisément le cas : Defred passe beaucoup de temps à se demander que faire, comment elle a pu en arriver là, est-ce que ce qu'elle fait est vraiment ce qu'elle doit faire. J'aurais dû détester, donc. Et pourtant, grâce à la plume de l'auteure, j'ai apprécié de rentrer dans la tête de cette femme qui n'est pas héroïque, mais qui n'est pas non plus particulièrement lâche.
Et franchement, il s'y passe des choses, dans sa tête. Entre son statut d'incubatrice vivante qui la rend inapte à toute activité, les éléments culturels locaux (sur lesquels je reviendrai évidement), ses sentiments pour ses proches et pour ceux qui l'entourent (ce qui n'a absolument rien à voir), il y a quand même une vie intérieure assez riche - et fascinante - à découvrir. Une vie intérieur dont le thème central, assez facile à deviner, est la place de la femme dans la société : doit-elle être réduite à sa biologie ? doit-elle être "l'égale de l'homme" ? doit-elle rester une espèce de déesse domestique ? Toutes ces questions sont évidement des thèmes féministes, ce qui pourrait faire de ce roman une espèce d'anti-manifeste féministe montrant comment ne pas aider les femmes dans nos sociétés.
Pourtant ça n'est pas le thème principal du roman (selon moi). Je dirais même plutôt qu'il s'agit plus d'une forme assez subtile d'accroche permettant au lecteur de rentrer dans ce monde.
En effet, on entre dans cet univers par le statut très étrange - pour moi - de Defred, avant qu'elle nous permette, par petites touches, de comprendre qu'il s'agit d'un univers très dystopique, ou plutôt (puisque l'auteure insiste là-dessus dans sa postface) très autoritaire. Typiquement, ça fait penser aux divers théocraties (les royaumes moyen-orientaux actuels en sont le meilleur exemple) ayant pu exister sur notre planète. Et c'est ce que veut montrer l'auteure : qu'en s'appuyant sur la "foi" des citoyens et leur désir d'ordre qui peut mener à des modes de vie suffisamment radicaux pour être qualifiés de totalitaire (je fais des circonlocutions, mais je pense que le sujet nécessite un peu de prudence sémantique). Et c'est franchement bien fait. Parce que du début à la fin, tout m'a semblé "réaliste" (l'auteure explique d'abord brillamment pourquoi dans sa postface). Et réussir à mettre en scène dystopie avec un tel réalisme, avec une telle vraissemblance (malgré les trous évidents dans la présentation du contenu) est à mon sens un vrai chef d'oeuvre. Je comprend pourquoi une chaîne de télé en a fait une série.
Evidement, les dimensions intimes et globales du récit ne tiennent que grâce à une chose : une écriture qui, malgré le thème, était d'une clarté, d'une limpidité que j'ai trouvé vraiment chouette. Il n'y a jamais de phrases interminables, jamais de tentation visible de faire de la littérature, mais toujours le besoin de faire un texte aussi lisible qu'élégant.
Du coup, je comprend pourquoi ce roman a une telle aura critique et publique. C'est vraiment, à mon sens, une lecture indispensable à l'amateur un peu exigeant de science-fiction.