Bon, je n'arriverai pas à tout faire en un coup : les nouvelles sont trop denses, et je sors trop chamboulé de chacune pour pouvoir me permettre d'attendre la fin de cette lecture. Voici donc mes avis sur chacune des nouvelles qui composent ce qui est pour moi un authentique chef d'oeuvre.
L'assassin infiniJ'ai à peu près compris la base de cette histoire : dans un multivers connu, c'est-à-dire où on sait que c'est un multivers, il existe une drogue permettant de "voyager" dans les univers parallèles. Il existe logiquement une police empêchant ça d'une manière radicale, conçue fort logiquement autour de personnes stables dans les univers parallèles.
Ca part franchement très fort, avec des espèces de gradient de décalage et des observations triangulées. Mais la conclusion m'a laissé littéralement pantois par la dimension du piège tendu, et la présence tout à fait inattendue d'un
ensemble de Cantor.
Lumière des événementsLà, l'auteur explore tranquillement les conséquences de la symétrie de la flèche du temps dans les équations cosmologiques sur notre prédestination. J'ai cette fois été bluffé par la façon dont le personnage central abandonne un beau jour cette illusion de prédestination pour comprendre qu'il s'agit peut-être là d'une vaste conspiration. Un truc typique de la quatrième dimension.
EugèneOh bon sang ! Oh bon sang ! Elle a déja vingt ans cette nouvelle ? Je ne peux pas y croire ! Et cette scène incroyable de l'apparition d'Eugène dans la lucarne !
La caresseLe mélange entre cette enquête pour meurtre, et cette recréation
d'une toile du XIXème et proprement stupéfiant, je trouve. Après avoir lu cette nouvelle, je suis resté pendant 1/2 heure à me dire "c'est fou", obsédé que j'étais par l'étrangeté de la chose. Et ne sachant d'ailleurs même pas si la chose en question est plus l'enquête (et la description du mode de vie des policiers "amorcés") ou la tentative incroyable de recréation de cette toile.
je me demande d'ailleurs pour quelle raison cette nouvelle a été écrite. Est-ce parce que l'auteur est fan du tableau ? Est-ce une oeuvre de commande ?
Soeurs de sangDes jumelles attrapent en même temps la même maladie rare. A partir de là, Egan nous dresse un portrait effrayant d'une médecine de l'urgence permanente provoquée par des virus de Monte-Carlo (pas de panique, il explique ça dans la nouvelle).
On est là plus dans l'anticipation économique et politique que dans la science-fiction visionnaire. Néanmoins, la conclusion de cette courte histoire est bien dans l'esprit de ce recueil : inattendue et terrifiante.
Le coffre-fortAlors ça c'est de l'expérience de pensée absolument incroyable : un individu se réveille chaque matin dans le corps de quelqu'un d'autre. Toujours des gens du même âge, donc, finallement, souvent les mêmes personnes dans la même ville centrée autour du même endroit. Pourquoi ? Oh, ça, hélas, on le découvre ...
Le point de vue du plafondJe l'ai trouvée un peu moins intéressante, celle-là. Je ne sais pas si c'est le thème des perceptions décalées choisi par l'auteur, ou le ton curieusement sympathique de l'histoire de ce magnat des loisirs, mais, j'ai eu l'impression d'un petit mou dans l'espèce de tension que ces nouvelles suscitent.
L'enlèvementOn fait croire à un homme que sa femme a été enlevée alors que non. Ou peut-être que si ... peut-être que son souvenir (à lui) d'elle a été kidnappé et lui sera rendu contre rançon. ce qui pose naturellement la question (déja abordée d'ailleurs dans Par-delà les murs du monde de ce que nous connaissons des autres : est-ce bien eux, ou juste l'image qu'on a d'eux. Et cette image est-elle assez puissante pour exister d'elle-même ? Bref, voilà brossée en quelques pages une interrogation d'une profondeur abyssale.
En apprenant à être moiComment devient-on l'égal d'un des citoyens de Zalem de Gunnm (oui, je cite un manga pour préciser le thème d'une des nouvelles de ce formidable recueil) ? Comment vit-on quand son cerveau est remplacé par une puce/un cristal ? Comment, surtout, vit-on la transformation ?
Là, l'horreur présent dans quelques-unes des autres nouvelles s'insinue plus doucement. Elle n'est pas pour autant absente de cette histoire, loin de là.
Les douvesUn récit très court qui hélas ne choisit pas la destination vers laquelle il part, puisqu'il hésite entre une vision d'un avenir écologiquement incertain, et une enquête sur un meurtrier aux gènes artificiels. Dommage qu'il ne choisisse pas, je pense que chacun de ces aspects aurait mérité un développement plus approfondi.
La marcheUne petite promenade dans les bois entre un tueur et sa victime, permettant juste à l'auteur d'exposer certaine théorie sur ce qui pourrait, très vaguement, être une réincarnation à la sauce Banks : une réincarnation d'instants, détachés de la fausse continuité de la personne.
Le p'tit mignonUne histoire effrayant, mêlant désir d'enfant fou, manipulations génétiques et propriété industrielle d'une manière totallement inconcevable chez quiconque d'autre qu'Egan.
Vers les ténèbresCette nouvelle, qui donne sa superbe image de couverture à ce recueil, se résume à ces deux simples phrases : "On ne peut pas voir le futur. On ne peut pas changer le passé.". Le défi qu'Egan a relevé a été de donner une représentation visuelle à cette phrase.
Un amour appropriéCette utilisation imaginative de l'utérus, bien que choquante à priori ne devrait pas forcément être considérée comme amorale, je trouve.
La Morale et le virologueLe genre d'histoire dont les médias pourraient raffoler si elle devenait réalité.
Plus près de toiCette nouvelle a eu pour moi des résonnances très personnelles. En effet, comme l'auteur, je pense sincèrement qu'on ne peut pas connaître vraiment les gens : on ne voit d'eux qu'une facade, et leurs motivations profondes nous restent invisibles. Cependant, je pense que je préfère avoir choisi de conserver cette ignorance plutôt que d'essayer de lever le doute.
Orbite instable dans l'espace des illusionsAprès une espèce de révolution spirituelle, des vagabonds errent aux franges de croyances matérialisées. Mais peut-être errent-ils au sein de leur propre espace d'attraction ...
Et maintenant mon avisCe n'est pas un recueil de nouvelles de hard-sciences, c'est LE recueil de nouvelles sur la hard-science. C'est même à mon avis l'une de mes meilleures lectures de SF. Tout simplement. Grâce à la profondeur de sa réflexion, Egan arrive à chaque fois à m'emmener dans des univers plus ou moins compréhensibles, mais toujours prenants. Je regrette juste quelques détails, comme la permanence des assassins : dans au moins neuf de ces nouvelles, l'auteur utilise les ressorts classiques de l'zenquête policière pour nous dévoiler son univers "par la bande". C'est dommage, je trouve. Surtout que dans d'autres (comme par exemple "Vers les ténèbresé qui est pour moi la meilleure du recueil) il se passe allègrement de ce genre d'artifices.
Cela dit, le point essentiel d'Egan, celui qui lui permet d'écrire tout ça, est assez clair : la technologie n'est rien, elle ne nous définit pas en tant qu'êtres humains. Ce qui nous définit plus, c'est notre humanité. Et cette humanité n'est affectée d'aucune manière dans ces nouvelles. C'est peut-être ce qui en fait pour moi un recueil aussi forrmidable - et aussi angoissant. Et ce qui doit en faire pour vous qui ne l'avez pas encore lu une lecture rigoureusement indispensable.