Ce bouquin est une folie. Une folie parce qu’à priori, il est nettement trop gros pour que ce soit envisageable de le lire tranquillement. Une folie pour moi également parce que son prédécesseur, L’espace de la révélation, ne m’a pas laissé un souvenir impérissable, loin de là. Une folie enfin, parce que rien de ce qui y est présenté n’a de sens.
Difficile, dès le départ, de montrer comme sensée une planète en guerre depuis sa colonisation, où l’arme atomique est utilisé "régulièrement". Difficile également de présenter comme sensé ce Tanner Mirabel, héros étrange poursuivi par le poids d’une culpabilité écrasante. Difficile enfin de donner une unité au récit lorsqu’il est découpé par un saut spatio-temporel de trente ans et de quelques dizaines d’années-lumière. Et pourtant,
Alastair Reynolds y arrive fort bien. Il arrive même, ce qui est beaucoup plus délicat, à rendre cette ville décadente qu’est Chasm City sinon attrayante, du moins regardable. Et pourtant, elle cultive ces défauts, cette ville qui, à l’instar de celle d’Abyme ou de tant d’autres romans, prend quasiment le premier rôle au héros. D’un autre côté, il faut bien reconnaître que ce héros, comme du reste les autres personnages, a quelque chose de diaphane. Dans son cas, vous me direz, c’est normal. Et c’est bien vrai. Mais cette partie dans Chasm City ne représente en fait qu’une partie du récit de La cité du Gouffre. Car on trouve aussi l’entraînement du héros, entremêlé de réminescences provoquées par un virus, du moins au début.
Bon, tout cela n’est à priori pas fascinant, quoique cette trame procure déja des moments de lecture assez intéressants.
Mais je dois dire que la conclusion du récit, et la maestria avec laquelle ces trois récits sont rassemblés est tout bonnement stupéfiante. Imaginez-vous après huit cent pages dans ce monde assez prodigieusement décadent, car attaqué par une étrange "peste putréfiante" qui a transformé la ville en une étrange forêt de béton où les riches vivent dans les frondaisons et les pauvres dnas les racines, apprendre ou plutôt comprendre peu à peu que le héros n’est certainement pas celui qu’il croyait au début, et peut-être même pas celui qu’il imaginait pouvoir être, mais un troisième personnage, encore plus misérablement cruel que les deux précédents. Il y a dans tout ça des tonnes de parallèles fascinants à étudier, ne serait-ce qu’entre la transformation de cet homme, finallement assez mauvais au début, en homme de bien, avec son ascension vers un éventuel Refuge, ou entre sa descente dans les entrailles du cratère et certains épisodes de la vie d’Haussmann(1). Mais ça n’est finallement pas si important que ça. Ce qui est important, c’est qu’au-dela d’‘un environnement magnifique, d’un univers à la technologie réellement exotique, au-dela même des personnages, ce roman est l’histoire de la rédemption exemplaire d’un homme dans une société différente, à un point difficilement inimaginable. Pour cette raison et pour bien d’autres, c’est une lecture réellement indispensable.
(1) Le fameux troisième personnage au sujet duquel la vérité finale sera révélée.