Jeune traductrice de langues oubliées, Bellis fuit Nouvelle-Crobuzon à bord du Terpsichoria en route vers l'île Nova Esperium. Arraisonné par des pirates, le navire est conduit vers Armada, improbable assemblage de centaines de bateaux hétéroclites constitués en cité franche, régie par les lois de la flibuste. Bellis y rencontrera bientôt les deux seigneurs scarifiés d'Armada, les Amants, ainsi qu'Uther Dol, mercenaire mystérieux aux pouvoirs surhumains. Un trio qui poursuit sans relâche une quête dévorante, la recherche d'un lieu légendaire sur lequel courent les mythes les plus fous. Sollicitée pour ses talents de linguiste, Bellis commence alors le plus stupéfiant des voyages, un périple aux confins du monde.

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Review

Pfou, j'aurais mis le temps, mais je l'aurais fini, ce bouquin.

Mais commençons par le commencement.

Ce roman raconte comment Bellis, traductrice et Nouvelle-Crobuzonaise en partance, se retrouve embarquée sur une ville flottante pour un voyage aux confis du monde connu. En chemin, elle vivra des aventures peu communes, rencontrera des personnages exceptionnelles, et assistera à l'ascencion et à la chute de puissances locales. C'est une présentation très courte, mais je n'aurais pas pu faire plus sans raconter une bonne partie de l'intrigue.

Maintenant, si vous voulez arrêter les spoilers, arrêtez-vous là, parce qu'il va y en avoir une sacrée dose.

Je l'avais déja dit pour Perdido Street Station, Mary Gentle est vraiment un auteur gothique. Et cette fois encore, il le montre. Dès le passage en Salkrikaltor, on sent que l'architecture n'a pas fini de pousser. Et quand on arrive en Armada, le choc devient presque physique par son intensité : une ville recomposée à partir de bateaux d'origines historiques et géographiques multiples tel lement multiples que c'en est incroyable, des personnages, humains ou pas, grouillant, se déplacant d'un bateau à l'autre, ... C'est incroyable.
Alors pourtant que la ville-mosaïque de bateaux commence à m'être familière, après Le Samouraï virtuel, où elle s'agrège autour d'un ancien porte-avion de la Navy, Ange mémoire, et d'autres bouquins où elle se construit autrement, j'ai cette fois-ci eu l'impression de tomber sur la forme "canonique" de ce genre de construction typique de la SF. Je veux dire par là que quand on me parle d'une cité marine, construire à partir de bateaux, je pense exactement àa ça.
Notez bien qu'à mon avis, cette perception est accentuée par le rôle évident que cette ville joue dans le récit. Parce que comme dans tout bon bouquin urbain, la ville dépasse le stade du décor pour atteindre celui du personnage, dont les humeurs se reflètent dans les décors ou les ambiances choisies pour les différentes scènes du roman. Sans doute aussi que la promiscuité inhérente à ce genre d'environnement aide l'auteur à nous faire basculer dans la peau de Bellis, qui découvre là un environnement exceptionnel.

Le personnage principal est également un choix très intéressant dans ce roman. En effet, Bellis n'est dans toutes les étapes de cette aventure qu'un rouage peu essentiel, un témoin de l'action. China Miéville aurait très bien pu nous attacher aux pas d'Uther Dol (c'aurait été beaucoup plus impliquant) ou, mieux encore, à ceux des Amants (c'aurait pour le coup été une très belle histoire, partir de leur séparation et remonter le temps jusqu'à leur rencontre); il préfère dans cette histoire choisir le témoin parfait : celui qui n'a aucune chance d'avoir le moindre impact sur le déroulement des opérations et qui finit par en être parfaitement conscient, mais incapable de ne pas continuer à agir. C'est un choix structurant, parce que ça lui permet d'établir une distance critique vis-à-vis d'un environnement assez incroyable et d'une intrigue pas forcément alambiquée, mais d'une échelle assez incroyable (sur laquelle je reviendrai). Et puis c'est, malgré son rôle de témoin, un personnage dont les failles sont assez intéressantes à creuser. Son attachement à Nouvelle-Crobuzon est à mon sens l'un des éléments les plus intéressants de ce roman, car il peut (où tout au moins je pense qu'il peut) être utilisé comme un moyen méta-littéraire pour faire comprendre au lecteur que, si Nouvelle-Crobuzon était le thème du premier roman dans le monde Bas-Lag, il ne sera plus évoqué que de manière lointaine dans les autres romans.

Je disais que l'échelle était énorme, et je le pense. Armada est déja en soi une monstruosité, avec son Grand Erneste (qui pour moi est une référence transparente au Great Eastern), maios quand l'Advanç pointe le bout de son nez, précédé par les hommes-moustiques, on sent bien que l'échelle bascule subtilement dans la démesure. Et à partir de ce moment-là, elle ne quittera plus cette démesure avant la fin du roman. Et il ne s'agira pas seulement d'une démesure en espace, mais aussi une démesure en possibilités. Car c'est après cet hameçonage dantesque qu'on verra Uther Dol nous expliquer qu'il est devenu un guerrier possible (un concept qui suffirait d'ailleurs à me faire vouloir un récit à ce sujet), et que les Amants révéleront toute leur fouge amoureuse.

Démesuré, il l'est donc, gothique également, par son architecture, ses thèmes, son décor. Et proche des oeuvres de Alastair Reynolds, toujours. ca n'est pas forcément une proximité expliquable, mais je sens que ces deux auteurs partagent un grand nombre de goûts communs, ce qui me plaît énormément.

Car évidement, ce livre m'a emballé. Enfin, pas emballé; Tra,nsporté plutôt. Je me suis retrouvé derrière Bellis dans sa découverte de cette prison flottante (qui vaut quand même mieux que celles qu'on découvre au début de l'histoire), ébahi devant le génie de cet auteur et sa capacité à me faire vibrer devant son monde du Bas-Lag qui, quoi qu'on en dise, est totallement dingue. Oh, bien sûr, c'est loin d'être grand public, comme roman; Mais si vous avez apprécié Perdido Street Station, je pense que vous aimerez encore plus ce roman. Parce qu'à côté de ce que j'ai dit, il y a encore d'autres choses qui méritent d'être découvertes.