Review

Dans ce roman, on suit Mawat et, surtout, son écuyer ? Page ? Lieutenant ? Eolo alors qu'ils reviennent dans leur capitale Vastaï, où Mawat doit reprendre la place de son père qui a mystérieusement disparu, remplacé par l'oncle de Mawat. Dit comme ça, l'intrigue est téléphonée, et effectivement, elle l'est. Mais comme le dit Neil Gaiman, les histoires se répètent, pas les points de vue.
Et la particularité fascinante de ce roman, c'est que le narrateur n'est ni Mawat, ni Eolo, ni même l'un des multiples seconds rôles, comme la fantasy nous le montre depuis des années, voire des décennies. Cette fois-ci, le narrateur est un Dieu, incarné dans une grosse pierre, qui observe cette intrigue d'un oeil franchement intéressé, puisqu'elle est pour ce dieu la conclusion d'une guerre démarrée plus tôt (au moins cent ans, et peut-être plus de mille ans). Evidement, ça n'est pas un narrateur absolument fiable. Non pas qu'il mente sciement, mais il garde pour lui certains aspects de l'histoire, pour des raisons que la conclusion révèle fort bien.
Et pour le coup, le point de vue choisi est absolument stupéfiant. Parce que ce Dieu nous raconte l'histoire en deux axes narratifs : dans un premier, une histoire au long terme, qui commence quand les crustacés étaient les seuls à peupler l'océan primordial, et qui va doucement nous amener au moment présent, et dans un deuxième le retour de Mawat, qui va précipiter cette conclusion en trois ou quatre journées fort animées. Le premier axe semble parfois un peu abstrait, mais on comprend finalement que tout ce qui a été raconté a un sens très précis. Et dans ce point de vue, on comprend bien pourquoi le narrateur ne connaît pas les états d'esprit d'Eolo, qui apparaît de ce fait comme un enquêteur assez ... introspectif.
D'ailleurs, ce personnage d'Eolo est une vraie réussite : est-ce un homme, une femme ... on ne sait pas. Mais est-ce que c'est important ? Eh bien en fait, non. Et je crois que le petit argument de l'autrice sur le manque d'intérêt du genre d'un personnage ne peut que porter, quand il est présenté comme dans ce récit.
On a donc un narrateur bizarre, un personnage principal dont on ne connaît pas trop les états d'esprit. Ca pourrait rendre le récit abscons, mais ça n'est pas du tout le cas. Chaque élément de cette enquête est clairement présenté, et l'autrice n'a pas besoin d'en faire des tonnes pour qu'on comprenne les implications des différents événements au moins aussi clairement que dans une série d'enquête policière.
On se retrouve donc avec une intrigue bien fichue, des personnages parfaitement lisibles (les gentils sont gentils sans être exempts de défauts, les méchants sont méchants sans cruauté excessive) et un décor exotique sans être incompréhensible. Qu'est-ce qu'il manque pour en faire un chef-d'oeuvre ? Je vais oser le dire, il ne manque rien. Ce roman est une réussite incroyable, dont le retournement de situation final me satisfait au plus haut point. Lisez-le, vous serez sans aucun doute épatés.