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Les recifs est donc le début d’une histoire.
Apparement, il devrait s’agir d’une grande épopée à travers les probables, mais il ne commence pas comme ça. Il commence dans un monde plutôt glauque, où la torture, et le meurtre en tant qu’oeuvre d’art, y sont courants, même si théoriquement réprimés (rappelez-moi d’y revenir dans ma critique détaillée). Dans ce monde, on découvre des destins croisés, dont notamment ceux de Dyl et de Tristan qui sont sans le savoir les héros de ce roman, même si de nombreux autres personnages y font des apparitions plus ou moins brèves (vous me direz, c’est normal après tout, ce n’est pas qu’un dialogue). Et peu à peu, à travers toutes les couches de la société, on voit se dessiner un destin (ou peut-être est-ce un dessein) dépassant les limites de la Terre, et touchant beaucoup plus d’univers, et de types de perceptions, que ce qu’on peut y voir au début(1). Et c’est à la fin du roman qu’arrive le choc : ce n’est qu’une partie d’une fresque plus grande ! Aaargh, s’écrie le lecteur, on me spolie, on me vole, on m’assassine, je veux la suite tout de suite (du moins pour les lecteurs des catégories 1 à 4) ! Et oui, comme ce résumé, le premier tome est trop court, on attend à la fin le changement de tome (comme on attend durant une course de formule 1 le changement de pneu). Yann, c’est pour quand ?
Bon allez, assez bavassé, passons maintenant à la partie intéressante, l’espèce d’anti-critique totallement consensuelle… Je vais tout de suite commencer par la partie la plus visible du roman, tout au moins dans le décor : il faut mettre une jaquette déconseillé au mineurs sur ce roman, voire même réservé aux lecteurs avertis. En effet, l’accumulation de scènes SM, si elle est propre à créer un climat malsain d’une manière assez épatante, n’est pas forcément à conseiller à tous les lecteurs. Heureusement pour moi, je fais partie de cette catégorie depuis la lecture (effarante d’ailleurs) de la liste de Nurse Jones (pour ceux qui ne connaissent pas http://cypluraghi.free.fr/La_Liste/01Preface.htm) et du coup, j’ai quasiment réussi à faire entrer ça dans un décor réaliste, et dans une forme acceptable de réalité, même si celle-ci est assez marquée par une forme de sexualité plutôt étrange… C’est d’ailleurs le propos de ma première parenthèse : que ce soit dans ce roman, ou dans de nombreuses autres oeuvres assez récentes, on constate une dérive très forte vers des modes de divertissement très violents, rendus d’ailleurs encore plus violents à partir du moment où les dispositifs de sensorialité virtuelle(2) deviennent des accessoires de divertissement répandus. Je ne dirai pas que Thanatos fait partie d’un courant, puisque ce n’est à mon avis pas le cas, mais on retrouve tout de même ce genre de modes d’expression sexuelle dans link:9782253072355.html[La Mère des tempêtes] et pas mal d’ouvrages du courant cyberpunk. Hasard ou coïncidence, je n’en sais rien. Toujours est-il qu’on pourrait rapprocher ça du message de Yann sur l’anayse du Seigneur des anneaux où il met en parallèle l’évolution technologique et la sexualité au service du mal (cherchez donc dans le fil "SdA la symbolique sexuelle… le sens du SdA…"). A ce sujet, je ne sais même pas s’il faut s’en inquiéter ou considérer cela uniquement comme un fruit des années 90/00 qui tombera d’ici dix ou vingt ans. Pour parler d’autre chose, un aspect qui mérite d’être signaler, ce qu’a d’ailleurs fait le magazine Pour La Science, est de remarquer l’importance, et le style, du rôle joué par les nanomachines dans cette histoire : contrairement à la plupart des cas où les nanomachines sont considérées uniquement comme des outils, à peine plus petits que la moyenne, Yann y voit un moyen de se détacher de pas mal de contraintes. J’ai ainsi réalisé que ces nm (ben oui, nanomachines) pouvaient être utilisées comme drogues diffusées en sprays, comme écrans flottants sous forme de nuages (idée qu’il faudrait d’ailleurs breveter, puisque c’est peut-être la meilleure manière de fabriquer des écrans 3D), bref une super-idée, très intelligement exploitée !
Tiens, et si on parlait un peu de l’histoire ? Elle est assez finement menée, même si Tristan et Dyl ne sont tous les deux que les jouets de puissance supérieures. Au final, et en y réfléchissant bien, même Gillian est le jouet de Thanatos. Ce n’est d’ailleurs pas si grave, car je pense maintenant, alors même que je suis bien forcé d’y réfléchir, que ce n’est pas le sujet du roman.
Il me semble en effet qu’il s’agit bien plus d’une espèce d’étude (le mot n’est pas particulièrement bien choisi, d’ailleurs) concernant les rôles d’Eros et Thanatos dans la vie de Dyl, symbolysés qu’il sont par Tristan et par Gillian. Et dans ce cas-là, l’histoire est particulièrement bien ficelée.
Au final, je dirai que j’ai aimé, pour plusieurs raisons. La première est que ce roman est incontestablement différent. Différent de la mièvrerie anglo-saxonne, différent même des autres romans français que j’ai eu l’occasion de lire, voici enfin une oeuvre où la sexualité la plus violente s’incarne dans la vie de tous les jours, nous donnant une occasion parfaite d’en étudier les conséquences. La seconde raison qui me fait apprécier ce bouqin, c’est qu’il est farci de petis détails qui lui donnent un vrai charme : que ce soit l’entrée en matière, insoutenablement forte, les nm qui donnent une vraie profondeur à ce qui serait sinon un délire digne des plus féroces donjons, et pour finir cet espèce de décollage multi-réalités qui, au lieu de perdre le récit, lui donne encore une dimension supplémentaire. Bon, Yann, à quand la suite ?

(1) à ce sujet, la quatrième de couverture est encore une fois une hérésie totale, mais c’est pas grave, on a l’habitude
(2) plutôt qu’une réalitué virtuelle, ce terme recouvre à mon avis mieux l’intégration à un cortex de sensations issues d’un autre être