Un animal doué de raison
Bien qu'aux limites du genre, c'est l'un des plus fascinants romans sur la condition animale.

Aux frontières de la science-fiction et de la politique-fiction (comme le dit l'auteur dans la préface) ce roman est pourtant éminement intéressant, et ce à plus d'un titre.
D'abord, et de manière évidente, pour sa thèse principale : que se passerait-il si un scientifique arrivait à faire accéder les dauphins à un langage humainement compréhensible (1) (1) : En l'occurence, l'anglais ? Elle seule suffit à produire des situations assez facilement exploitables (en témoigne la saga de David Brin ). Et son exploitation est, qui plus est, très intelligente avec les tâtonnements du héros (scientifique, évidement) et ses multiples questionnements.
Par son écriture, ensuite, qui m'a rappelée d'une certaine manière celle du Festin Nu Frankenstein Les petits dieux , avec ces phrases sans démarcation visible, ni entre les différentes propositions, ni même entre les différents intervenants d'un dialogue, ce qui est pour un partisan d'une écriture bien ponctuée comme moi très perturbant, mais indéniablement séduisant.
Enfin, Robert Merle place son récit, pour une raison qui m'échappait initiallement, aux Etats-Unis. Dans la mesure où il le place également à une époque contemporaine de l'écriture, c'est-à-dire à la fin des années soixante, il est logique qu'on contexte géopolitique spécifique influence grandement le récit. Ainsi, la guerre du Vietnam, qui n'apparaît initialement que comme une toile de fond assez déplaisante, entre peu à peu dans le récit pour finalement rejoindre sa trame principale d'une manière assez tragique. Tragique, dans le récit, mais très agréable pour le lecteur, car ces dauphins, qui n'apparaissent tout d'abord que comme les jouets d'une expérience assez éloignée des nécessités de la guerre, deviennent d'un seul coup des armes on ne peut plus meurtrières.
Est-il nécessaire d'en dire plus ? Sans doute, car ce roman est tout de même aux frontières de plusieurs genres, et risque donc de louper son public. Pour moi, il s'agit avant tout d'un excellent roman d'anticipation, partant de postulats très intelligents, et posant avec beaucoup de style de vraies questions fondamentales, dont au moins une est implicite et, à mon sens, laissée intentionnellement ouverte par l'auteur : "Faut-il apporter le langage aux espèces animales ?" ou, dit autrement, qu'ont à gagner les dauphins et autres cétacés à nous comprendre ? Peut-être rien, mais en tout cas, ce roman offre une fascinante piste de réflexion.
- (1) : En l'occurence, l'anglais