La Schismatrice +

Certains auteurs ont un don pour exploiter avec profit des périodes traditionnellement considérées comme inutiles par les autres. Et ce roman en est la preuve.

Nicolas Delsaux
Informations aimablement fournies par la Noosfere .
Schismatrice + Auteur : Bruce STERLING Traducteur : William Olivier DESMOND Traducteur : Jean BONNEFOY Editeur : GALLIMARD Collection : Folio SF Parution : juin 2002 ISBN : 2-07-042331-X

Ma réponse à un avis éclairé

Cet avis fait réponse à celui émis par Trick dont tout l'avis est en italique.

En bref : c'est zarb mais en définitive ça vaut vraiment la peine.

Lindsay le déchu, le rénégat, l'apache du soleil. Tout semblait lui sourire, jeune, riche, fraîchement rompu aux techniques révolutionnaires des diplomates formationnistes, il représentait un immense espoir pour son habitat, la République Circumlunaire de Mare Serenitatis. Mais son apprentissage l'a radicalement transformé, lui et son meilleur ami, son presque frère Philippe Constantin. Tout bascule lors du suicide de leur égérie, Vera Kelland, signe de révolte contre les chefs mécanicistes tenant les rênes du pouvoir depuis des dizaines d'années, des vieillards dont les vies interminables ne tiennent qu'à une assistance médicale permanente.

On retrouve là quelque chose de très connu : la révolte des nouveaux contre les anciens, lorsque ceux-ci se révèlent sclérosés et incapables d'agir d'une manière ambitieuse (ce qui peut également sembler un miroir assez intéressant de la société actuelle).

Abélard Lindsay aurait du disparaître avec sa belle mais le hasard l'épargne. Devenu trop dangeureux pour son clan, il est banni vers un habitat désolé où commencera une vie nouvelle en compagnie des marginaux de la Schismatrice, ce vaste ensemble de mondes indépendants, rivaux et bouillonnants, cette machine à fragmenter l'humanité.

Je ne suis pas tout à fait d'accord avec ton interprétation : "le hasard l'épargne". Ne s'agit-il pas plutôt pour lui de survivre, quel qu'en soit le déshonneur ? Pour le jeune révolutionnaire qu'il est alors, la mort est la seule transgression possible, dans un univers asseptisé où tout est contrôlé par les familles régnantes. Et cette transgression, qu'il choisit selon moi de ne pas effectuer, le pourchassera toute sa vie, que ce soit sous la forme des assassins envoyés par Constantin, mais surtout par sa propre image : il sait qu'il aurait dû mourir avec Véra, mais que le fait de ne pas l'avoir fait lui permet de plonger dans la vie de la Schismatrice.

Ce n'est pas un roman facile d'accès. D'abord à cause d'un style de la même veine que celui de Gibson M. John HARRISON Fredric BROWN Neil GAIMAN , c'est-à-dire fourmillant de néologismes et très fracturé. Sterling élude des passages entiers si bien qu'on a parfois l'impression de disposer d'une édition incomplète ou tronquée du bouquin. Le sujet n'est pas non plus très clair et les vingts premières pages suggèrent plus une sorte de space-opera carabiné à la Vance Vernor VINGE Roland C. WAGNER Patrick MARCEL Maurice G. DANTEC Charles L. HARNESS , avec des héros insurpassables et indestructibles, que la fresque sociale et technique qu'est véritablement La Schismatrice .

Si le style de ce roman est effectivement très élusif, c'est par nécessité selon moi : lorsqu'on est plongé dans une humanité dispersée dans tout le système solaire, et que les voyages durent des mois entiers, il n'est peut-être pas nécessaire de les mentionner. Mais ce n'est qu'un des nombreux points éludés. En fait, il me semble que le bon angle de lecture est de voir Abéliard Lindsay comme un catalyseur : lorsqu'il crée sa compagnie de théatre dans l'habitat des apaches, son habitat originel est déserté. Lorsque les Investisseurs arrivent, il est propuslé sur le devant de la scène et rejoint ainsi Wells, avec lequel ils vont lancer le projet de terraformation du satellite de Jupiter (dont évidement j'ai oublié le nom).

Car au-delà des aventures rocambolesques du sieur Lindsay, on découvre une société ou plutôt une myriade de sociétés nées des conditions extrêmement hostiles et changeantes de la vie en plein espace. Des sociétés divisées par les luttes incessantes entre mécanistes et formationnistes, ces derniers étant adeptes de manipulations génétiques dans une optique clairement eugéniste, et de techniques de conditionnement. Ce petit monde dynamique et en perpétuelle mutation n'est pas sans rappeler celui de Dune Deus Irae Genèse Deus Ex Oblique par sa complexité, ses intrigues et sa façon d'être constamment sur le point de se briser.

Là, je ne suis franchement pas d'accord. Là où Dune Deus Irae Genèse Deus Ex Oblique est un essai politique franchement inspiré par le Prince Emergence Thomas le rimeur La jungle hormone L'oreille interne Etoiles mourantes de Machiavel , la Schismatrice se rapproche plus pour moi d'un traité d'évolution des sociétés, ou plutôt des clades. La notion de niveau de complexité de Prigogine (dont j'ignore évidement si c'est une fumisterie ou une idée avérée) par exemple, représente bien le champ d'intérêt de Sterling : il s'agit plus d'expérimenter sur les micro-sociétés qui peuvent émerger plus facilement dans l'espace que de fouiller en profondeur les structures du pouvoir.

Enfin, j'ai pour ma part un reproche conceptuel à faire : les deux opposants, morphos et mécas, ne représentent pour moi que les deux faces d'une même pièce. Ils ont tous voué leur vie au progrès scientifique, quitte à se laisser dévorer par ce progrès, et à ne plus avoir d'humain que le nom (comme par exemple les Homards). Cependant, on ne voit nulle part de conservateurs ou, comme j'aurais tendance à les appeler, de néo- obscurantistes, déclarant que toute cette technologie est sale, que l'âme des morphos n'existe pas et que celles des mécas est indubitablement corrompue par ce mélange avec la machine maudite. Bien sûr, les terriens sont ainsi, plongés dans la stase, mais il aurait été amusant de voir,d ans l'espace, des partisants d'un retour à des technologies externes.

Si vous arrivez à vous faire au style un peu étrange de Sterling , et à passer outre certains aspects kitschs ou réducteurs de cet immense tableau, voici un roman surprenant de vitalité et d'originalité.

Tout à fait. je rajouterai également qu'il donne un aperçu moderne de la vie telle qu'elle pourrait apparaître pour un individu capable de vivre plus de trois cent ans, dépassé par un progrès qui va en s'accélérant, et cherchant de nouvelles sources d'émerveillement.

Ah, oui, au fait, ne loupez pas non plus les nouvelles incluses dans la Schismatrice + , elles fournissent un éclairage plus percutant - à la manière d'un court-métrage flashant l'individu - sur la complexité de la schismatrice, cette humanité de nom.