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Review

Après trois semaines dans les ruelles de la Nouvelle-Crobuzon, j'en sors enfin pour vous livrer un avis franchement enthousiaste, même si j'ai quelques réserves sur des points particuliers.

Donc, ce roman nous raconte les aventures d'Isaac (C'aurait pu être Newton, mais, non, pas là.), d'un homme aigle sans ailes, et de quelques uns de leurs amis.

Le premier problème de ce roman, c'est de trouver une unité à la trame narrative. En effet, le début du roman concerne les recherches scientifiques d'Isaac, et celles, artistiques, de son amie la femme à tête de scarabée. Mais, au bout d'un moment, pour une raison que seul l'auteur connaît, on passe d'une chronique de la vie urbaine à une chasse au monstre qui, pour fascinante qu'elle soit, n'en a pas moins rien à voir avec la première moitié du roman, ce qui est encore plus visible de par le découpage en deux tomes.

Bon, cela étant, c'est quand même un bouquin tout à fait excellent, et foisonnant d'une part de références, et d'autres part de liens pour moi avec d'autres oeuvres.

Références et liens



Le premier de ces liens concerne des romans traitant de la ville ... comme l'Ankh-Morpok de Terry Pratchett, la Lankhmar de Fritz Leiber, ou La Cité du Gouffre de Alastair Reynolds, mais je reviendrai sur ce lien plus loin. Bref, la ville, hein. Comme dans les différentes villes dont je viens de parler, l'architecture est loin d'être élégante, loin d'être organisée, et, surtout, loin d'avoir une chance de résister à la prochaine pluie. Ca, tout de suite, ça pose une ambiance assez glauque. et cette ambiance, l'auteur prend un soin jaloux à en peaufiner chaque détail, en ne donnant à voir au lecteur que les parties les plus laides, décrépies, polluées de cette Nouvelle-Crobuzon. Et ça n'est à mon avis pas pour rien que la période choisie est une espèce de révolution industrielle rendant hommage à la Londres du XIXème siècle (Qui a bien évidement dû aussi servir d'exemple aux autres villes mentionnées).

La ville est donc une première composante de cette ambiance glauque. Mais ça n'est pas la seule composante. Il y a aussi le côté tous pourris, mis en valeur par cette milice, ce gouvernement pas vraiment démocratique, et toutes les sortes de mafias peuplant les strates intermédiaires de cette ville démente.

Un roman gothique ?



Pour en revenir aux références, je voudrais parler du lien tout particulier unissant ce roman et ceux de La Cité du Gouffre. En effet, ce lien a pour moi été flagrant très rapidement, pour devenir bientôt un guide de lecture tout à fait sensé pour cette oeuvre.

Le premier lien, c'est évidement l'environnement urbain, déja mentionné plus haut, qui est d'une évidence absolue. Pourtant, il faut le voir dans le détail pour bien comprendre le lien qui existe entre ces deux villes. Dans les deux cas, la construction est anarchique, souvent agressée par un environnement actif, que ce soit magiquement ou non.

Ces deux villes sont par ailleurs peuplées de créatures plus étranges les unes que les autres. Pour la cité du Gouffre, je vous conseille la lecture de Diamond Dogs, Turquoise Days. Et pour Perdido Street Station, un rapide inventaire suffira : un homme-aigle, des femmes scarabées (Faut-il voir un clin d'oeil à l'Egypte antique ?), des hommes-grenouille sans costume, et en guise de feu d'artifice final, Madras, le recréé artistique, qu'on pourrait par exemple rapprocher du capitaine de link:9782266136600.html[L'Espace de la révélation].

Et puis, ces villes, sous leurs atours flamboyants, sous leur facade de centre culturel, ne sont que le dessus de poubelles sordides dans lesquels tout est possible.

A ce sujet, la visite au bordel du collègue d'Isaac est une espèce de fantasme, du même niveau de pervesité que Diamond Dogs, Turquoise Days, encore une fois, mais choisissant une orientation nettement différente ...

Bref, il y a d'innombrables points communs entre ces deux romans et, comme je le disais de l'oeuvre de Alastair Reynolds, Perdido Street Station est une oeuvre gothique, flamboyante, mais aussi sale comme une cathédrale délabrée, et c'est peut-être cette saleté qui en fait tout le sel.

Pas d'échappatoire



Enfin, je dis sale, mais ça n'est pas le mot juste. Pour moi, ce qui décrirait mieux la philosophie sous-tendant l'écriture de cette chose littéraire, c'est l'absence complète de pitié. Du début à la fin, j'ai en effet l'impression que l'auteur s'est imposé comme contrainte littéraire l'absence de pitié et d'espoir. A bien des reprises, il peut sauver des personnages, améliorer des situations. Mais le fait-il une seule fois ? Non, je ne crois pas. Et ça, pour dur que ce soit pour le lecteur, c'est bien.

Naturellement, la conséquence logique, c'est qu'il n'y a pas de happy end. Et ça, c'est encore mieux.

Conclusion



Vous vous en doutez déja, mais j'ai adoré. Pas pour l'histoire, qui est plutôt déséquilibrée, nous incitant sans cesse à nous demander où l'auteur veut donc nous conduire, mais pour la Nouvelle-Crobuzon, pour les recréés, pour Madras, et, même, pour les Gorgones. Tiens, tant que j'y pense, j'oubliais un dernier clin d'oeil : la Fileuse, qui m'a fait furieusement penser à Shelob et aux autres araignées Tolkieniennes. Bref, j'ai adoré, et j'adorerais, je crois, voir un Peter Jackson fou tenter une adaptation impossible. Bon, j'adorerais peut-être plus encore lire d'autres romans reprenant ce monde fou, invraissemblable, aux confluents de la fantasy, du steampunk, et de presque tous les autres courants de la SF sauf le space-op.

Mais, soyons réalistes, ça n'est pas à mon sens un roman pour tous les publics. Donc ne vous lancez dedans que si vous avez le coeur bien accroché, l'esprit très ouvert et un goût certain pour l'étrange et, comme je l'ai déja dit, le gothique.