Review

J'aime toujours beaucoup les livres de Ian McDonald. Mais celui-là est franchement fabuleux.
Il se passe sur la Lune, d'où le nom, et met en scène la famille Corta, qui a acquis une fortune certaine dans l'extraction de deutérium depuis la poussière lunaire. Cette fortune ne s'est évidement pas faite sans crime, et ce roman met en scène la famille au moment critique où la matriarche et créatrice de l'entreprise familiale vieillit.
Si vous avez lu ses précédents romans, (La Maison des derviches ou Le Fleuve des dieux), vous vous souvenez que c'est un auteur qui n'a pas peur d'accumuler les personnages pour multiplier les points de vue. On retrouve évidement ici cette méthode, où il choisit de raconter l'histoire de l'ensemble de la famille Corta. Chacun des frères et soeurs, et la mère elle-même sont choisis comme sujets des différents paragraphes qui s'enchaînent dans des chapitres assez longs, mais qui réussissent à rester lisible malgré la multiplicité des points de vue et des intrigues. Et c'est heureux, parce qu'il y a des points de vue très différents : l'un des frères est un iznogoud en puissance (calife à la place du calife pour les plus jeunes), un autre est un vrai émotif, la soeur est une avocate vedette, et le dernier est ... un peu à l'écart. De la même manière, on va suivre des intrigues diverses, qui vont converger parce que la famille Corta est une famille unie dans un objectif dynastique. Voire même féodal en fait.
Et c'est l'un des premiers talents de l'auteur : nous présenter une organisation clairement dysfonctionnelle en nous immergeant tellement dans son récit qu'on comprend les motivations à la fois des personnages, mais aussi de l'organisation. C'est-à-dire qu'on considère le mode de vie des Corta, y compris les mariages dynastiques, comme normaux. En même temps, vu l'environnement, ça n'est pas si difficile. En effet, ce roman essaye d'embrasser une vision globale de la Lune : on va en découvrir les différents habitats, qui sont généralement des villes souterraines, mais aussi les cultures qui s'y sont développées. Et ces cultures sont sacrément différentes : il n'y a plus vraiment de différence entre les genres (tant mieux !) et le sexe des mariés n'a aucune espèce d'intérêt, les drogues suivent des modes, et la gravité réduite donne un nouveau sens aux arts (la danse, notamment) et à la vie de tout les jours (les cocktails et la pâtisserie profitent clairement).
Et puis, un dernier élément est très différent : la Lune n'est pas une terre libre, mais la propriété des entreprises. Du coup, tout est contractualisé : accéder au réseau, à la nourriture (jusque là, on s'y attend), mais aussi à l'eau (plus dur) et à l'oxygène (et là, franchement, c'est décrit dans toute sa dureté). D'ailleurs, cette contractualisation s'exprime aussi dans le mariage qui n'est pas religieux ni même civil, mais vu comme une relation commerciale. C'est dur. Dur comme l'environnement, qui est volontiers décrit comme cruel : dans plusieurs passages, la Lune est décrite comme vraiment dangereuse.
Cette lune dangereuse, cet environnement ultra-libéral, ça peut vous rappeler quelque chose ...
Parce que même si la Lune suscite moins l'imaginaire que Mars, on a quand même quelques oeuvres : Révolte sur la lune ou Gens de la Lune prennent déja le même décor. Et curieusement le même type de culture libérale. Pourtant, ce roman est très différent des deux premiers dans son ambition, je trouve. Parce que si ces deux oeuvres étaient bien, elles étaient focalisées sur un personnage principal. Ici, la construction chorale force le lecteur à embrasser beaucoup plus de décor, et donne donc à l'oeuvre une ampleur bien plus vaste. Et pourtant j'avais trouvé à l'époque ces romans assez chouettes.
Mais là, on a tout : la vie, la mort, la guerre, l'amour, des gens qui se rapprochent, d'autres qui s'éloignent. C'est franchement l'une des meilleures lectures de l'année (au moins) pour moi.